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Sans adresse, le parcours du combattant numérique

Mi-octobre 2020 déjà, les tambours du confinement se faisaient entendre. Profitant de quelques jours de congés, je revenais dans mon port d’attache, à Mallemort en Provence, 6 019 habitants. Le temps de se retourner et le couvre-feu tombait sur la métropole : ici aussi, à 70 km, de Marseille les petits restos fermaient. Respectant scrupuleusement les consignes, le voisin nous donnait les dernières nouvelles depuis le petit chemin privé qui dessert six maisons. Un chemin que les élèves des alentours empruntent pour aller prendre le bus, mais que la cité répugne à gérer et qui reste dans le noir l’hiver dès 17h30. Oui, tout fermait ici aussi, et tout restait ouvert de l’autre côté de la Durance, à Mérindol. La fibre arrivait à 10 mètres de nous, dans la rue de la Tuilerie. Mais le voisin ne parvenait pas à faire programmer son raccordement. De commerciaux en commerciaux, il se promenait, personne ne pouvait rien pour lui.

Je me suis bien souvenue de mes messages et courriers restés lettres mortes pour demander en aveugle aussi bien à la société privée qui gère notre courrier et les Pages blanches qu’à la commune, le retour de mon adresse dans les systèmes informatiques. Je ne lui en ai pas parlé, mon voisin était suffisamment « dégouté de la vie » entre le COVID-19 et son affaire de fibre impossible. Pour ma part, j’avais en effet découvert incidemment en programmant le GPS au retour de Metz il y a deux ans que je n’arrivais plus chez moi avec mon adresse. Le problème concernait mon numéro, pas celui des voisins. Incompréhensible pour une adresse qui existe dans le paysage et sur les plaques depuis des décennies, le long d’une voie romaine plus que millénaire, dans un hameau né autour du relais de poste sur la route royale – hameau qui lui aussi a perdu son nom sur les cartes (mais cela est une autre histoire… teasing…).

Sans adresse, le parcours du combattant numérique : c’est l’histoire d’un voyage qui n’en finit pas, éloigne nos vies du monde des échanges et nous fait errer dans des « systèmes » en perdition. Je connais la sortie désormais (la commune peut créer gratuitement une Base Adresse Locale1). Je connais les responsables de la solution (la commune donc et des prestataires supposés mettre à jour les adresses depuis des années). Et mon expérience personnelle vient de se trouver renforcée à l’écoute mercredi soir de la conférence de la Chaire Gouvernance et souveraineté de Sciences po : La COVID-19, accélératrice et amplificatrice des fractures numériques2. Merci à Jean-François Lucas de m’avoir donné l’envie de secouer les mots, voire plus. Oui aux médiations et oui aux médiations au plus près des citoyens, grâce à la régularisation de leurs adresses dans les mondes numériques !