La base de données de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) permet de suivre l’évolution des dépenses d’armements engagées depuis 1989 à l’échelle mondiale. Depuis le 1er juillet, le SIPRI diffuse, en plus de cette ressource, une nouvelle base dédiée aux membres de l’OTAN, dont les données remontent à 1949 et qui présente des graphiques – c’est-à-dire une mise en forme visuellement efficace de quelques données triées. Cette nouvelle production scientifique intervient au moment où les médias évoquent une éventuelle intégration de la Suède et de la Finlande à l’Alliance atlantique et où la paix européenne est remise en question par la question ukrainienne. Données scientifiques versus contexte géopolitique et influence, peut-on démêler la pelote ?
À propos de la Suède et du SIPRI
La Suède et la Finlande sont les deux derniers pays scandinaves à ne pas avoir intégré l’OTAN, Alliance dirigée à compter d’octobre 2014 par Jens Stoltenberg, ex-Premier ministre du troisième pays scandinave – la Norvège. Autant « pays du Gripen » (1) que « pays du SIPRI », la Suède suit une ligne plus proche de la neutralité armée que d’un « pacifisme » sous parapluie étranger.
Créé par le Parlement suédois en 1966, le SIPRI est une fondation indépendante financée par le gouvernement suédois et par d’autres pays, essentiellement d’Europe du Nord. Elle revendique son indépendance scientifique. À l’international, le SIPRI est reconnu comme l’un des principaux centres de recherche sur la paix, et les informations du SIPRI Yearbook sont utilisées notamment par les étudiants, ONG, chercheurs, médias.
Méthodes & conséquences
Le SIPRI nourrit ses bases de données par trois types de sources : des sources primaires (données officielles fournies par les gouvernements dans leurs publications officielles ou leurs réponses à des questions), des sources secondaires citant des sources primaires et enfin d’autres sources secondaires (2). Il convient donc de garder en tête que l’écart entre la réalité des dépenses militaires et le contenu des tableaux du SIPRI est proportionnel à la diversité des pratiques de collecte et de communication des données par des Etats plus ou moins transparents ou démocratiques.
Dans sa base mondiale des dépenses, le SIPRI a choisi de présenter les données pour l’ensemble des États, dépenses en monnaie locale, en dollars, en part du PIB, en montant par habitant, sous un format autorisant l’analyse comparative. Le SIPRI a démultiplié les indicateurs pour tenter de pallier plusieurs difficultés : le coût des armes est très variable suivant le niveau de sophistication des armées (le seul montant brut n’est pas parlant) ; les cours des monnaies ont leur vie propre et une dépense élevée ou faible dans une devise donnée peut refléter un aléa monétaire et non militaire (la seule monnaie locale ne suffit pas) ; les densités de population sont très variables et la masse de population peut dissimuler le poids des dépenses (la seule part des dépenses par rapport au PIB ne suffit pas)…
Partons donc du principe que ces données en valeur absolue – comme toutes les statistiques qui fonctionnent ainsi – sont à manier avec circonspection, il est cependant intéressant de les suivre sous la forme de tendances. Cela demande une petite fiction puisqu’il faut supposer qu’elles sont toujours aussi fausses ou toujours aussi peu fausses dans le temps, c’est-à-dire que la diffusion d’informations erronées pendant la guerre froide « équivaut » à celle post-guerre froide. Pourquoi pas. (3)
À quelles données s’intéresser ?
Intéressons-nous à cette nouvelle base consacrée à l’OTAN dans ce qu’elle nous apporte de différent de la base traditionnelle, c’est-à-dire la valorisation des données par les graphiques dans les tableaux eux-mêmes. Ils isolent les membres « non-US » et au sein de ceux-ci opèrent un focus spécifique sur les nouveaux membres ce qui nous permet de zoomer sur les nouvelles frontières européennes (4).
Ce graphique montre que les dépenses militaires des Européens de l’OTAN ont crû globalement jusqu’en 2009 : dix ans après la chute du mur, mais au lendemain du 11 septembre 2001, la courbe entame une forte pente (choix visuel de l’échelle) et atteint des sommets en 2008-2009. Depuis la « crise de 2008 », les dépenses des Européens de l’OTAN se réduisent suivant une pente deux fois plus rapide que la gradation 2002-2009, bien que le seuil bas de 2000-2001 (pré-11 septembre 2001) ne soit pas encore atteint en 2013. Avant la crise ukrainienne, il ne restait plus aux Européens de l’OTAN que quelques mois pour redevenir « sages » (aux yeux d’un pacifiste) ou « dépouillés de leurs forces stratégiques » (pour d’autres yeux).
Dans le détail, tout n’est pas harmonieusement réparti. C’est ce que montre le graphique ci-dessus. Depuis 2009, les barres rouges ne rétrécissent pas : les nouveaux membres de l’OTAN payent-ils le parapluie plus cher (toutes proportions gardées) que les autres ?
Derrière les graphiques
Dans les tableaux (pas sur les graphiques), le choix du SIPRI de fournir des informations sur les nouveaux entrants qui sont antérieures à leur date d’entrée dans l’OTAN permet de constater pour trois pays baltes intégrés en 2004 une hausse des dépenses et a contrario une réduction pour les pays otaniens d’Europe centrale. Pour l’Estonie, les dépenses militaires en millions de dollars constants 2011 sont passées de 54,5 en 1992 à 467 en 2013 et de 0,5 % à 2 % du PIB, pour la Lettonie de 101 en 1993 à 307 en 2013 (de 0,7 à 1 % du PIB), pour la Lituanie sur la même période de 177 à 357 (la part dans le PIB restant à 0,8 %). À l’inverse, les dépenses militaires polonaises (la Pologne a intégré l’OTAN en 1999) sont passées de 2,5 % du PIB en 1988 à 1,8 en 2013, et de 4,3 en 1989 à 1,6 % en 2013 pour la Bulgarie – pour ne citer que deux exemples.
Les tableaux montrent également une baisse en part du PIB des dépenses militaires de tous les pays de l’OTAN depuis 1949, date qui apparaît comme un seuil haut au lendemain de guerre mondiale. En valeur brute (dollars constants 2011), la hausse est par contre constante jusqu’à 1990-1991 et accompagne la sophistication des matériels au cours de la guerre froide. Au cours de la décennie suivante, les dépenses en valeur brute se réduisent pour l’ensemble de l’OTAN jusqu’à 2001 – sauf pour les États-Unis et le Royaume-Uni où les dépenses reprennent dès 2000.
Intérêt pour geosophie
L’arrivée d’une base d’informations diffusée gratuitement au plus grand nombre est toujours riche d’enseignements. Son influence est d’autant plus importante que le centre de recherche est reconnu. Cette base de données du SIPRI est à saluer autant pour l’effort scientifique de collecte et d’harmonisation que pour l’effort de partage.
Au-delà, il est tout aussi stimulant de s’intéresser à ce qu’on pourrait qualifier de « géopolitique des données ». La diffusion de cette base d’informations s’inscrit dans un contexte qui n’est pas neutre : les tensions OTAN-Russie se manifestent matériellement en Ukraine, mais également sur un autre plan. En effet, les derniers pays européens non membres de l’OTAN sont désormais sous tension, les débats contradictoires sur leur adhésion éventuelle se lisent dans leurs presses respectives, suédoise et finlandaise au premier chef. On peut également suivre dans les médias les propos du Premier ministre finlandais accusant Apple d’avoir pris les emplois du pays. Avec cette clé de lecture, la nouvelle base d’informations du SIPRI peut être considérée comme la première production depuis la création de ce centre en 1966 à permettre de calculer ce que coûte (ou non) à un pays d’intégrer l’OTAN et de lire entre les lignes le décalage entre les besoins européens et les besoins des États-Unis. Cela signifie t-il que jamais depuis 1966, la pression sur un non-membre de l’OTAN comme la Suède n’avait été aussi forte pour lui faire intégrer l’OTAN ?
Sophie Clairet
Image du haut : Montage du drapeau de la Suède et d’un symbole de paix. La Suède est neutre depuis la fin des guerres napoléoniennes. Logo CC disponible sur peacesymbol.
Notes
(1) Avion suédois dont les débouchés à l’export sont présentés sur le site de son fabriquant, Saab.
(2) http://www.sipri.org/research/armaments/milex/milex_database/copy_of_sources_methods
(3) Cette précision s’appuie notamment sur les constats qui se succèdent depuis la « crise de 2008 » pour montrer qu’une bonne partie des données sont lacunaires ou erronées. Il n’est pas question ici de pointer une carence du SIPRI ou d’un pays plus que d’un autre.
(4) Certes, le Canada fait également partie de l’ensemble « non-US », il s’agit d’un raccourci de langage reflétant un effet de masse européen.
2 réponses sur « OTAN : ses dépenses d’armements présentées depuis Stockholm »
Très éclairant, par le commentaire et par mise en valeur d’une base bien faite et librement accessible. Si je ne me retenais pas j’en ferais bien des cartes…
HT
Vous avez bien raison et ces cartes permettraient de susciter de nouvelles analyses. Quand on balaye du regard les colonnes d’un tableau, la réflexion par analogie/différentiation fonctionne moins bien que devant le visuel cartographique, tellement clair pour tous les yeux ! La base doit s’intégrer parfaitement aux logiciels de cartographie statistique.