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Scène de jeu pour paysage de guerre

Plaine d'Alsace vue du Haut-Koenigsbourg. Retouche d'image et crayons de couleurs. Cliché Sophie Clairet, 29 décembre 2015.
Plaine d’Alsace vue du Haut-Koenigsbourg. Retouche d’image et crayons de couleurs. Cliché Sophie Clairet, 29 décembre 2015.

Sur mon ordinateur, en fond sonore les milliers d’émissions sur Charlie. Je me souviens de l’an passé. Et soudain, je comprends ce qui m’a gênée dans le documentaire « Cellule de crise », Attentats 2015 : dans le secret des cellules de crise diffusé dimanche sur France 2. Il manque un acteur.

Dans ce documentaire, la reconstitution minutée de « qui est où à quel moment » est tout à fait constructive, nous quittons la saccade des images diffusées en temps réel voici un an pour entrer dans le récit organisé. Comme toute puissance dans l’Histoire, la France produit des récits permettant de forger une épopée nationale.
L’œuvre présentée intègre les arguments et contre-arguments que nous ne manquerons pas de nous poser. Le téléspectateur glisse dans le récit d’autant plus facilement qu’il est ponctué de ces moments de respirations où quelqu’un anticipe ses questions et lui fournit des réponses (dialogue entre plusieurs narrateurs façon « notre cellule à nous »). Une narration en profondeur, quitte à parfois ajouter « on ne le voit pas sur les images mais dans la voiture de police, deux agents ripostent » (13’30).

Avec un an de recul, ce qui me choque, c’est de voir des personnages très visiblement mal intentionnés (armes à la main en pleine rue) bénéficier d’autant de temps avant toute intervention. À croire que personne ne regarde par la fenêtre, ne passe dans la rue, ne s’interroge dans le bâtiment sur les gens qui traînent dans les couloirs vêtus en « ninjas ». Aucun commentaire pour dire « on ne le voit pas sur les images mais des habitants du quartiers ont téléphoné aux services de secours » ni « pour les protéger, les autorités ont fait rentrer les gens qui sortaient de chez eux pour aider. Les habitants ne se contentaient pas de filmer, ils nous alertaient ».
Où étaient passés les gens ? L’immeuble est un désert ? Le documentaire ressemble à un décor de jeu vidéo où le monde est vide à part le gentil et le méchant. Il est question de responsables politiques, d’acteurs de la sécurité, de médias et d’otages. Les citoyens qui alertent la police pour dénoncer une scène sur Facebook n’entendent-ils rien dans la rue réelle sous leur fenêtre ? Ou bien ont-ils été tout simplement oubliés du documentaire ?

Le héros de notre épopée nationale (le peuple donc) est devenu intégralement spectateur du réel. « Être un homme, c’est précisément être responsable » (Saint-Ex).

On devrait davantage écouter les bateleurs… Merci Mickey3D pour cette ballade (La mort du peuple, 2006).

Mickey3D fait il partie de la cellule de crise ? L’enquête est ouverte…

Sophie Clairet (avec une mention spéciale pour Elbereth)

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