Depuis mon arrivée près de Metz, j’ai découvert petit à petit un nouveau paysage que je nommerais « délaissée glaciaire » (1) de la géopolitique. Il est fait de bases militaires abandonnées, mais cela se voit à peine dans ce pays sans volets. A Longeville-lès-Metz, on voit davantage les pancartes à louer, à vendre, commerce à céder. Sur les hauteurs pullulent les pancartes rouillées de « Terrain militaire ». S’y risquer ? Chacun prévient que dans ces hautes herbes les tiques prolifèrent et emmènent avec elles la maladie de Lyme.
Si on regarde bien, Metz a t-elle fait autre chose avec sa rente de situation acquise auprès des évêques, empires et autres officiers que les pays producteurs de pétrole africains avec leur or noir ? Le butin tombait tout seul grâce à une situation géographique qui permettait à la ville de monnayer son allégeance.
C’est au dessus de Metz que culmine la seule tour Bismarck édifiée sur le territoire de la France actuelle, vestige parmi tant d’autres d’une redoutable place forte. Il est bien possible que cette attractivité tombée toute crue nourrisse ces mantras étonnamment insistants chez les autochtones que la Lorraine est la plus belle région de France et Metz la première merveille du monde (2). Avec tout l’humour des revers de l’Histoire, l’heure a sonné pour la délaissée glaciaire de se trouver un nom et une vocation. Les communicants sont en effet saisis, et déjà la presse bruisse : en septembre sera lancée une « marque de territoire ».
Fin des glacis, fin des rentes
La seule base aérienne 128, définitivement fermée en 2012, employait 2 500 personnes. Le départ des militaires se compenserait par un musée Pompidou ou un INSEE qui reste vide ? Un classement au patrimoine mondial de l’UNESCO ? Ne faudrait-il pas plutôt lorgner sur Berlin et ouvrir délibérément cette ville vieillissante aux jeunes et à une créativité peut-être brouillonne mais innovante ? Je crois plus en la limonade Lorina et dans la relance du vignoble que dans ce truc pour vieux. Sur la méthode, les succès du vignoble Molozay véritablement ressuscité par des spécialistes du vin et la reprise de Lorina par un ancien cadre d’Alstom sont bien là : il faut laisser les clés de la réussite à ceux qui savent faire et non à ceux qui savent plaire.
En attendant une marque de territoire, 91 classes ferment à la rentrée contre 37 ouvertures, et en plus cela ne veut pas forcément dire grand-chose ! La grande section de maternelle de l’école voisine à Longeville-lès-Metz a tourné à 7 élèves et n’est pas fermée à la rentrée. L’élémentaire est une « pseudo-école » d’ailleurs, sans projet d’école (c’est pourtant obligatoire même en pays de Concordat), sans association de parents d’élèves, les CP étant privés de cours de langue, de découverte des sciences, de sport, de sortie. La faute au découragement. Des classes à moins de vingt élèves qui restent identiques des bébés au CM2 sans aucun nouveau. Si d’aventure un nouveau se présente à la rentrée, il reste encore surnommé « le nouveau » au printemps. Dans la cour, nulle corde à sauter, pas de billes. A croire que les enfants dérangent à force de rappeler que la vie existe.
Partir, c’est vivre un peu
Les gens n’ont plus envie et ne se plaignent même pas. Pudeur ? Honte ? Aquoibonisme ? Les plus aisés rêvent d’Amérique. Pour être aisé, encore faut-il bien souvent travailler au Luxembourg, plus de 50 heures par semaine sans compter les deux heures de trajet aller et deux heures pour le retour aux heures de pointe. C’est y gagner l’étiquette de « frontalier » prononcée avec quelque dépit amoureux par ceux qui restent, la luxueuse berline allemande, les impôts dérisoires, et une usure plus rapide.
Quant au rêve d’Amérique, il poursuit outre-Atlantique un récit qui quadrille la ville entre les bâtiments massifs de la gloire allemande. Il suffit d’aller de la statue de Lafayette inaugurée en 2004 sur l’Esplanade (et dont une précédente version fut financée en 1919 par l’association catholique américaine les Chevaliers de Colomb avant d’être démontée par les Allemands (3)) au technopole où siège l’antenne du Georgia Tech en Europe, en passant par les plaques apposées devant la cathédrale à la gloire de Patton, le libérateur de la ville en 1944. Il est amusant ce cheminement de gloire à l’Amérique libératrice dans une ville dont l’architecture impériale germanique compose la part du lion. Alors pour le tourisme, des cars entiers d’Allemands se garent près de la cathédrale. Un petit tour et puis s’en va. Pour faire la fête, c’est plutôt à N – – – Y (4), mais ceux-là n’ont plus l’âge.
Voilà la carte d’une délaissée glaciaire où les nouvelles menaces que sont le terrorisme et la hantise de l’arrivée de migrants ne construisent pas une base productive alors que les soldats faisaient tourner les écoles, l’immobilier, les clubs de sport… Et non, ce n’est pas pareil partout, dire que c’est « la faute à la crise » ne suffit pas. Je connais une petite fille qui a fini son année scolaire en Provence. Lorsqu’elle est rentrée de sa première journée à l’école du village, elle était nouvelle, alors des petites filles sont venues la prendre par la main. Ses yeux hurlaient de bonheur lorsqu’elle m’a dit « ici on a le droit de jouer à la corde à sauter et aux billes ».
Sophie Clairet
Notes :
(1) La délaissée glaciaire est l’espace abandonné par le glacier à la suite de son recul.
(2) Écouter dès l’introduction l’émission Un jour en France de Bruno Duvic diffusée sur France Inter, « Le nom des nouvelles régions, toute une histoire ! », vendredi 25 mars 2016.
(3) http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/43740/CL_1986_3_187.pdf?sequence=1
(4) Le nom n’est pas développé pour éviter tout problème de voisinage.