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Une conférence venue d’ici : Pirates, territoires et divertissement

Voici quelques notes personnelles (1) prises lors des IVes assises nationales de la recherche stratégique, « Risques et menaces de l’hypermodernité », le 13 décembre à l’École militaire. Érik Orsenna intervenait en Grand Angle de la séance inaugurale devant un amphithéâtre Foch qui ne pouvait accueillir tous les auditeurs.

Prise de notes (extraits de la conférence)

Le monde actuel est étymologiquement plus religieux, c’est à dire relié. Connaître la moindre des choses ne suffit pas. En même temps que le besoin de culture générale augmente, on déteste les idées générales, les recettes qui s’appliquent partout. S’il y a une revanche à saluer, c’est celle de la géographie.
Ma conviction est que la lecture de notre époque se révèle extrêmement complexe. Les Français pensent être dans l’immuable, fils et filles ainé(e)s de l’Église, et s’inscrivent dans la durée. Or l’inverse se produit. Le monde des rentiers est mort, comme disent les Japonais, tout ce qui a une forme est appelé à s’éloigner pour revenir sous une autre forme. Je distingue trois divorces et trois prises d’otages

Les trois divorces

Première instance de divorce, le marché et l’état de Droit.
Les espaces nationaux du monde légal face à par exemple ce qui se passe au Mali, où prédomine la situation d’espaces fluides où circulent des pirates. Les parallèles sont nombreux entre pirates du désert, de l’Internet et des mers. Nous voilà face à l’éternelle opposition entre le nomade et le sédentaire, où les nomades vont de plus en plus vite. Ceux qui vont le plus vite et gagnent le plus sont au-delà des règles. Le vrai homo economicus mondialisé, c’est le gangster. Le mal progresse plus vite que le remède dans un découplage entre marché et état de droit.

Deuxième découplage dans le Droit à l’intérieur des puissances publiques
Lorsque j’ai demandé au maire de Hambourg son avis sur l’Allemagne, il m’a répondu que Hambourg avait existé bien avant l’Allemagne, avait sept siècles d’avance sur l’Allemagne. L’influence des métropoles s’accroit, celle des États recule. Or une nation n’est pas une somme de « Singapours ». La question est posée : et si la modernité s’accompagnait d’un retour au Moyen-Age, c’est à dire d’un retour aux ligues comme la Ligue hanséatique – la question de la capacité des États étant posée.

Le divorce entre l’individu et la société
On a d’un côté le morcellement entre les jeunes et les vieux dans nos sociétés, de l’autre le « tissage familial » en Afrique, comme l’exprimait Moussa Konaté (2). La France et l’Afrique composent les deux extrêmes, nous sommes très individuels, alors qu’en Afrique le poids familial est très fort. Depuis quelque temps les « Tout Pour ma Gueule et Tout de Suite » ont chez nous le vent en poupe. Et deux modifications des termes du Droit sont intervenues :
– Le Droit a été changé en droitS ;
– La construction grammaticale a substitué le « droit à » au « droit de », le « droit à l’enfant » remplace le « droit de l’enfant ».
La montée des droits de chacun, dans un sentiment de gain alors qu’il y a perte sèche est là : nous ne sommes plus protégés par les corps intermédiaires alors qu’auparavant la famille jouait le rôle de tampon.

Il existe également un découplage avec la nature. L’ensemble fonctionne bien lorsque l’économie va de pair avec l’état de droit, la ville avec l’État, l’individu avec la société. Lorsque l’un des éléments du couple prend le pouvoir, c’est la déchirure.

Les trois prises d’otages

Le long terme par le court terme
Symptôme : plus les milliardaires ont gagné vite leur fortune, plus ils portent une montre chère.
Comment dans nos démocraties, dans un contexte d’élections et de tempo médiatique, donner de la valeur au long terme ? La solution, je la partage avec Martin Hirsch, serait de faire en sorte qu’il y ait un droit de vote proportionnel à l’espérance de vie. Mon fils aurait par exemple six voix, certains de nos académiciens, ½. (Applaudissements de la salle, NDLR). Je monte un nouveau parti politique autour de cette idée, que ceux qui sont intéressés viennent me voir à la pause (Une boutade ? NDLR).
Nous sommes dans un monde de mutations où plus que jamais il faut parier sur le long terme, notamment dans le secteur de l’énergie. La question est posée à l’État affaibli, un État qui normalement est le maître des horloges. Or l’État est celui qui génère le plus d’instabilités en multipliant les règles, les normes, etc. Quand l’État accroit l’incertitude, il n’est pas dans son rôle.

Le vide par le plein
Obligation est faite de ne pas s’ennuyer, il faut remplir, toujours remplir. En même temps, on édulcore, c’est-à-dire qu’on met du sucre, on enrobe au lieu d’avancer. La Dulce de Leche (3) c’est Disneyland. Les contes d’Andersen sont pertinents, vous en voyez l’inverse enrobé de sucre par Disney.
L’enrobé de sucre rend-il heureux ? Je vous renvoie aux deux derniers ouvrages de Daniel Cohen : nous ne ressentons aucun sentiment de gain par rapport au niveau précédent, on stagne ou on diminue, on est très malheureux.

Le réel par le virtuel
Paul Valéry disait « que serions-nous sans le secours de ce qui n’existe pas. »
Mais quand le virtuel se fait de plus en plus fort, quand l’absence devient la règle, nous voilà dans un vertige vis-à-vis du réel. La ressemblance est forte entre Facebook et les drones, dans les deux cas on ne voit ni les amis, ni les ennemis. On s’éloigne du réel le plus possible. Certains jeunes passent quatre à cinq heures dans un monde virtuel où ils ont huit ou neuf vies. Tout cela nous conduira à des modifications physiologiques comme le dit Michel Serres.

En conclusion vive le réel. Les chevaliers du réel ont une double mission : accroitre la prise de conscience et faire en sorte que les gens qui commencent à savoir acceptent de croire en ce qu’ils savent, pour entrer dans la prise de conscience ET en tirer les conséquences.
Il y a risque et risque. Certains risques sont terribles, d’autres sont au cœur de la vie. Quand le principe de précaution s’invite dans la Constitution, dirige une nation, on est mal barrés. (Applaudissements de la salle, NDLR). « Précaution » : le terme a un petit côté incontinent, ostéoporose et col du fémur. (Applaudissements de la salle, NDLR). Si on avait donné vie au principe de précaution, Pasteur aurait-il pu soigner le jeune enfant (4) ? J’adresse un salut au risque. Dans tous les domaines de votre vie, tout ce que vous avez fait de bien aura comporté une part de risque.

Notes

(1) Toutes les phrases ne sont pas reproduites, il s’agit de notes que j’ai essayé de transcrire le plus fidèlement possible.
(2) Moussa Konaté (1951 à Kita -2013 à Limoges), écrivain.
(3) Confiture de lait, mélange de lait et de sucre très doux.
(4) Référence à Joseph Meister, neuf ans, mordu par un chien enragé et que Pasteur vaccina en 1885. L’enfant ne développa pas la rage.

Fin de la prise de note. (Voir cette conférence sur le site du CSFRS : http://www.acteurspublics.com/2013/12/16/revivez-les-ives-assises-nationales-de-la-recherche-strategique)

Intérêt pour GeoSophie

Cette conférence a insisté sur le retour de la géographie : toutes les choses n’ont pas le même sens, la même portée partout. Évidemment, c’est un motif d’intérêt et de satisfaction pour un géographe d’entendre Érik Orsenna faire s’interroger nos responsables stratégiques sur la pertinence de clés de lecture – comme de solutions systématiques – venues d’ailleurs.
J’avais pris ces notes et obtenu l’accord enthousiaste du principal intéressé avant de me rendre compte que les vidéos étaient en ligne sur le site du CSFRS. J’ai hésité, à quoi bon mettre ces quelques mots sur geosophie puisque chacun peut écouter Érik Orsenna et non lire des raccourcis vus par quelqu’un d’autre ? Finalement, il s’agit d’un petit complément à usage de ceux qui ne disposeraient pas d’un débit suffisant, une sorte de résumé personnel que je n’ai pas jeté, il constitue un autre niveau d’information, après tout et permet de dresser une sorte de diptyque avec une autre conférence – venue d’ailleurs (voir sujet suivant).

Sophie Clairet

Image du haut : Lapin blanc des Aventures d’Alice au pays des merveilles – un pays où le temps est déréglé, il n’y en a pas assez. Gravure de John Tenniel sur Wikipedia.

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Ressources

FIG : les paysages et la Turquie au programme

La 23e édition a été présentée officiellement à la presse le 20 septembre au Centre National du Livre, qui soutient activement la manifestation.

Le Festival International de Géographie en quelques mots :
50 000 visiteurs
Des débats, des concerts, des entretiens, des films
250 à 300 conférences/débats
Un salon de la géomatique
Un salon du livre
Un salon de la gastronomie
4 prix décernés
20 sites dans la ville (Saint-Dié : 22 000 habitants)
Gratuité intégrale des activités
Budget : 500 000 euros

Sur la thématique « Les facettes du paysage. Nature, culture, économie »

De l’avis du président de l’ADFIG, Jean-Robert Pitte, « un jour où l’autre, la géographie disparaîtra des programmes de l’enseignement secondaire si elle ne passionne pas davantage. Le paysage ne fait pas partie du programme alors qu’il s’agit d’un élément-clé de compréhension, notamment parce que les médias nous offrent des paysages ».

Parmi les clés de lecture :
L’ambition de cette édition est de faire redécouvrir un élément central de l’analyse géographique, tellement évident qu’il en a été vidé : le paysage. Encore faut-il le définir, ce que chacun évite soigneusement de faire. Le paysage n’est pas l’espace, l’espace est étendue physique, le paysage intègre sa perception – et par là même se partage entre architectes, sociologues, aménageurs, psychologues, ethnologues, etc. Objet « impur » à la croisée des chemins, il n’a pas fait le miel des dérives scientistes de la discipline. il semblerait qu’il renaisse de ses cendres…
Le programme du FIG intègre les différents volets, il est question des modifications des paysages comme des « écrans dans le paysage » ou de la valeur des paysages – des éditeurs de jeux-vidéos, des acteurs de la téléphonie et de la géolocalisation seront également présents.

Sur le pays invité : la Turquie

Le choix du pays invité remonte à octobre 2011, il n’a aucun rapport avec l’actualité brûlante qui s’invite cependant et ne sera pas éludée. Et quand bien même les intervenants éviteraient les questions délicates, le public dans la salle se chargera de poser des questions. Selon Christian Pierret, président fondateur, « Beaucoup de préjugés vont se contredire, c’est notre façon d’être objectifs ».
Avec plus d’une trentaine de géographes turcs présents, provenant notamment de l’université d’Izmir, sans compter les personnes issues des diasporas – et reflets de la mosaïque turque, kurde, alévi –, le FIG devrait offrir une grande variété de regards. Stéphane de Tapia, conseiller technique du FIG sur cette question, ajoute que la politique turque « zéro problème avec tous les voisins » s’est transformée en « plein de problèmes avec tous les voisins ». Il précise que l’objectif est d’en parler de manière dépassionnée, en s’adressant à tous, avec une exigence scientifique.

Parmi les clés de lecture
Le public doit savoir choisir le lieu, l’heure et les intervenants… Sur les questions sensibles, le FIG est une aventure qui se joue en divers lieux, c’est l’ensemble du puzzle qui fait sens. Par un curieux déterminisme géographique, il est évident que le café géographique intime ou la conférence débat dans une salle de plusieurs centaines de places ne permettent pas d’aborder les questions de la même manière – ni la même participation du public. Mieux vaut donc bien déchiffrer le programme et varier les lieux et les intervenants.

Sophie Clairet

Image du haut : Extrait de l’affiche du Festival International de Géographie

Pour aller plus loin programmation et informations :
Site du FIG