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2020, le lierre

J’ai, captif, épousé le ralenti du lierre à l’assaut d’éternité*

Quand cela a-t-il commencé ? « Pars d’ici, tu vas crever à Metz ».

La petite musique a parlé tellement fort que j’avais placé tous mes vœux sur un retour dans le Sud en 2017. C’est au soleil du Béarn que je commence à faire le lierre pour grapiller des secondes d’éternité.

Il est des lieux faits pour d’autres, là où la lumière ne convient pas, la terre ne porte pas les racines.

Sophie Clairet, 1er janvier 2020

*René Char, « Afin qu’il n’y soit rien changé »

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Randonneurs, la mouvance touristique du fond des âges

Partir découvrir le monde, visiter, aller voir plus loin… Tout cela constitue des fondamentaux de l’humanité. Parmi nos aventuriers, les marcheurs composent un groupe particulier. Ce groupe-là n’a pas la limite du moteur d’une machine ni de la voie bitumée. La fin de la marche dépend de la seule volonté – certes de l’état des pieds et de l’arrivée d’une mer ou d’une rivière. Au fur et à mesure de l’avancée et de la découverte, la volonté se renforce ainsi qu’un certain sentiment de puissance et de conquête.

Les marcheurs sont une mouvance touristique qui célèbre cette liberté de dépasser quelques limites, les frontières en font partie.

En avril 2014, un magazine plaçait en couverture « Retourner au Sahara en 2014 ? » et passait en revue différents chemins de découverte de la Mauritanie à la Tunisie. Le rappel des zones déconseillées par le ministère des Affaires étrangères ponctuait chaque ode à la re-découverte de contrées devenues impénétrables au gré de la montée des mouvances islamistes. La liste des voyagistes et compagnies aériennes permettait en revanche de trouver parfois comment y aller malgré tout, en transitant par un État moins regardant que la France.
Pincée d’aventure, sentiment de transgression face à la montée des murs, perspective simplement de contempler des paysages magnifiques placés hors de portée par la folie des hommes, simple légèreté teintée d’irresponsabilité au prétexte que la vie est trop courte pour être enfermée… la liste des ressorts serait trop longue à dresser.

Il convient juste de rappeler le rôle fondamental de la simple marche comme système de découverte du monde réel. Une puissance d’expérience mais aussi de formation de la pensée (1) que le monde virtuel ne remplace pas. Les voies qui se ferment devant les pas d’un marcheur sont autant d’emprises territoriales (2) des forces obscurantistes.

Sophie Clairet

Image du haut : Sahel : zone déconseillée aux voyageurs. Attention à rechercher les informations sur les pays limitrophes (ex. Algérie). Source : MAEDI

Notes

(1) Voir les nombreux ouvrages sur philosophie de/et la marche.
(2) Le territoire est un espace sous contrôle, approprié.

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Mireille Delmas-Marty, regard d’une juriste

Morceaux choisis de l’intervention de Mireille Delmas-Marty, juriste, professeure au Collège de France, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, et présidente du FIG 2012 à l’inauguration du Festival le 11 octobre.

Comment saisir la relation entre droit et géographie ?

Par le climat?
Pascal a écrit « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Montesquieu montre également la relation entre les lois et le climat.
Or depuis la problématique du réchauffement climatique, la variabilité des lois selon le climat a laissé place à l’universalisme d’une gouvernance mondiale qui postule l’inverse. C’est au droit d’influencer désormais le climat ! Mais réécrire Pascal et Montesquieu, voilà un pari risqué.

Par le territoire?
Une ancienne carte de la CIA (WorldFactbook) montrait le monde en trois couleurs. En gris les pays de Common law (tradition anglo-saxonne), en noir ceux du droit romano-germanique et en blanc tout le reste.
Cette approche présente une difficulté, car le monde a considérablement changé avec l’expansion de phénomènes qui dépassent le territoire : extra-territorialité, trans-territorialité (avec Internet par exemple), multi-territorialité.
Le cas de la Turquie est particulièrement intéressant, entre plusieurs mondes géographiques et juridiques. Ce pays est membre du Conseil de l’Europe, un juge turc siège ainsi au conseil des droits de l’Homme. Il est également membre fondateur en 1977 avec l’Iran et le Pakistan de l’ECO (Organisation de Coopération économique) — organisation de coopération économique et de lutte contre certains trafics, qui s’est élargie à 11 États. À terme, cette multi-territorialité pourrait poser des conflits, par exemple si ECO impose une extradition, puisque le Conseil de l’Europe interdit d’extrader des personnes vers des pays pratiquant la peine de mort comme l’Iran.
En augmentant en complexité, l’internationalisation du Droit contribue au pluralisme, mais perd en cohérence. Il s’agit de la tragédie des trois C : lorsqu’un système dépasse un certain niveau de Complexité, il ne peut être à la fois Cohérent et Complet.

Par le paysage?
Le juriste serait-il paysagiste ? Il se veut constructeur, plutôt architecte, il pose des fondations, des piliers.
Or ces pratiques se sont transformées avec la mondialisation du Droit. Celle-ci conduit à une suppression des bornes (frontières transgressées, neutralisées), à une diversification des sources (superposition de sources non-étatiques) et à la modification des formes (pas de hiérarchie stricte, mais subsidiarité, complémentarité, un mouvement de va-et-vient, car les États acceptent mal la perte de leur souveraineté).

Pour ces raisons, le paysage juridique mondial est en expansion et en mouvement. On est bien loin de la pyramide et de l’architecte ! Il ne s’agit pas non plus de réseaux ni de rhizome, ces termes ne décrivent pas l’instabilité. Il s’agit d’un nuage ordonné, dès que le dessin est terminé, les contours ont déjà changé. Se pose la question du vent, du souffle qui donne la direction…

Intérêt pour geosophie.eu

Rapprocher droit et paysage, ou droit et géographie relève de l’exercice de rhétorique où le conférencier joue avec les mots et l’auditoire se garde bien de demander des éclaircissements. Mais au fond, peu importe, car ce jeu de l’esprit apporte au passage des éclairages rafraichissants comme cette idée que le postulat de la variabilité des lois selon le climat a laissé la place à l’inverse (le droit influence le climat). Notre rapport au monde, notre manière de le penser dépasse de très loin le petit jardin des géographes et c’est une promesse d’avenir.

Notes de Sophie Clairet

Image du haut : Mireille Delmas-Marty (image Wikipedia)