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Madagascar, quelques enjeux de la crise

À la veille de l’annonce d’un calendrier électoral supposé faire sortir l’île de sa mise à l’index, alors qu’elle reste sous l’administration d’une Haute Autorité de Transition (HAT) présidée par Andry Rajoelina, l’île-continent défraie régulièrement la chronique internationale. Le scandale du bois de rose, le pillage des eaux territoriales, les méandres du déblocage du processus politique, l’octroi d’une aide européenne, la disparition des lémuriens, les promesses pétrolières, la mutinerie d’une caserne sont autant de faits qui soulignent la diversité et la complexité des problèmes qu’affrontent une population pauvre et un État embryonnaire.

Cinquième île du monde par sa taille (587 040 km2), peuplée de 21 millions d’habitants, bien dotée en richesses naturelles, pauvre en capital et en infrastructure, île affronte avec difficulté l’attraction presque impériale de ces deux colosses en devenir que sont l’Inde et la Chine, sans pour autant parvenir à s’abstraire de son passé colonial. La résolution en cours de l’impasse politique permettra de lever d’un régime de sanction pesant lourdement, mais les scandales soulignent que les influences divergentes à laquelle l’île est soumise pèsent plus lourd encore que la médiocrité du personnel politique dans la gravité de la situation.

Le régime de sanctions

Depuis le coup d’État qui a conduit à la formation de la Haute Autorité de la Transition le 17 mars 2009 et l’échec des médiations menées depuis lors, Madagascar est frappée de sanctions économiques. Le 21 juillet 2011, Olivier De Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, déclarait « Les États-Unis ont suspendu Madagascar de la liste des pays bénéficiaires de l’AfricanGrowth and OpportunityAct. Cela a coûté au moins 50 000 emplois directs dans le secteur textile qui représentait la moitié des exportations malgaches. Quant à l’Union européenne, elle a gelé des programmes prêts à être signés avant la crise, suspendant toute aide au développement passant par le gouvernement. Le manque à gagner total est estimé à près de 600 millions d’euros ». Son constat : « Madagascar est aujourd’hui l’un des pays où la malnutrition infantile est la plus élevée au monde – avec des niveaux comparables à l’Afghanistan ou au Yémen ».
Deux mois plus tard, Slate rapporte la lettre ouverte adressée par des universitaires anglo-saxons aux dirigeants de l’Union européenne, premier pourvoyeur d’aide à Madagascar, pour demander la levée des sanctions.
Suite à la nomination le 28 octobre 2011 d’un gouvernement d’union nationale et d’un parlement de transition, le Conseil de l’Union européenne décide le 5 décembre 2011 de modifier les mesures de sanctions. L’Europe s’engage à soutenir financièrement le processus électoral, à hauteur de 17 millions d’euros – dont 15 issus du reliquat de 400 millions d’euros d’aide non versée à Madagascar dans le cadre du 10e FED. Le gouvernement de transition fixe la publication du calendrier des élections au 1er août 2012.

Quelques affaires en guise de décor préélectoral

La pêche est foisonnante à Madagascar, voici une sélection.

Le scandale du bois de rose
Le 13 avril 2012, Joseph Randriamiarisoa, ministre de l’Environnement est limogé au motif de sa mauvaise gestion des « affaires de bois de rose ». La coupe, la vente et l’exportation de ce bois précieux étaient interdites jusqu’à ce que le 28 janvier 2009, dans un contexte pré-électoral, le régime Ravalomanana autorise 13 opérateurs à exporter. Le régime de transition qui lui succède ne parvient pas à contrôler la manne, et selon Madagascar  Conservation & Developpment « cette filière est un vrai commerce inéquitable, puisqu’au final, la partie chinoise touche 25 fois plus que la partie malgache et 357 fois plus que les villageois de la forêt. »
Le 20 juin 2011, 174 tonnes de bois de rose en provenance de Madagascar et à destination de Hong-Kong sont saisies à Port-Louis (Maurice). Depuis, l’enquête agite les sphères politiques malgaches et mauriciennes, la Banque Mondiale a accepté fin mai 2012 d’enquêter sur la filière à la demande du gouvernement mauricien tandis que l’opposition regrette que l’enquête ne soit pas confiée à Interpol.
Dès le lendemain du limogeage du ministre malgache de l’Environnement, RFI relaie les propos d’Albert Zafy, ancien président de Madagascar (1993-1996) : « Il faut remplacer en premier Mr Andry Nirina Rajoelina. Mr Andry Rajoelina, c’est l’art de l’usurpation, (…) l’art de la corruption, (…), l’art des magouilles. Au vu de [sa] pratique mafieuse (…) concernant le motif de remplacement [du ministre, ], quelle ironie !!! Même la communauté internationale est au courant que Mr Andry Nirina Rajoelina (…) est impliqué dans des affaires de bois de rose : des enquêtes fiables (…) en fournissent des preuves irréfutables ». L’article renvoie à un documentaire allemand sans le citer (il pourrait s’agir du film de l’ONG britannique Environmental Investigation Agency)

Le scandale du bois de rose qui éclabousse Andry Rajoelina fait écho à celui de la « vente » de terres à Daewoo qui accompagna en 2009 la chute de Marc Ravalomanana.
Dans ce contexte, Jean Claude Razaranaina, directeur général du SAMIFIN déclare le 20 juillet 2012, que « Le total des sommes suspectées par le SAMIFIN, service de renseignement financier de Madagascar, d’être à blanchir est de 634 426 000 000 ariary (plus de 226,58 millions d’euros, NDLR[1]), excepté les sommes impliquées dans le bois de rose ». Un rapport portant spécifiquement sur le blanchiment lié au trafic de bois de rose devrait sortir prochainement.

L’ombre omniprésente de la Chine
Avec 40 000 à 60 000 Chinois installés, Madagascar accueille la 3e communauté chinoise à l’étranger. Et Pékin a ouvert un institut Confucius en 2008. Selon Mathieu Pellerin, la vision d’un acteur chinois monolithique est à nuancer.
La Chine, atelier du monde et premier fournisseur de Madagascar, démultiplie les réalisations et les projets. Le 24 avril 2012, l’agence de presse chinoise Xinhua[2] annonce la construction du plus gros port de l’île (150 000 tonnes) par le groupe WISCO afin d’envoyer vers la Chine le minerai de fer qu’elle exploite. En date du 27 juin 2012, WISCO était le seul groupe minier à n’avoir pas adhéré à l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) à Madagascar, sur les neufs identifiés par le ministère des Mines. Le groupe WISCO a viré 100 millions de Dollars US sur un compte du Trésor malgache fin 2010 : « Cette somme est considérable, correspondant à 10% des dépenses totales engagées par l’État ou à 40% de son budget d’investissement. »[3]
Le projet de construction de la plus grande cimenterie de l’océan Indien est en cours par la holding Madagascar Development Corporation qui réunit China International Fund (CIF) et l’État malgache (à hauteur de 15 %). Lors de la création de MDC, les partisans de l’ancien président déchu Ravalomanana (dont cinq ministres viennent d’être démis) ont d’ailleurs titré « Rajoelina vend Madagascar aux Chinois. »[4]
En changeant d’échelle, il ressort que dans une stratégie de sécurisation de ses approvisionnements et de ses activités en Afrique, la Chine met en place six Zones Économiques Spéciales en Égypte, en Éthiopie, à Maurice, au Nigéria et en Zambie. Le « collier de perles », ensemble d’attaches stratégiques chinoises égrenées depuis la Chine jusqu’aux approvisionnements de l’océan Indien ne descend pas au sud de Port Soudan. En décembre 2011, lefigaro.fr rapporte que le ministre des Affaires étrangères des Seychelles a souhaité « une « présence militaire » chinoise sur son sol, pour lutter contre les pirates ». Le 14 juillet 2012, Xinhua rapporte que « la Chine était prête à renforcer ses relations militaires avec les Seychelles. »[5]
La Chine a rejoint le Groupe de Contact sur la Piraterie au Large de la Somalie, auquel participent l’UA et l’UE, l’OTAN, l’ONU, les États-Unis, la Russie, l’Inde et la Corée du Sud parmi 51 pays. Le quotidien indien Times of India met en perspective l’installation de cette base aux Seychelles et l’accord conclu entre Pékin et l’Autorité internationale des fonds marins pour exploiter des nodules polymétalliques sur une zone de 10 000 km2 dans le sud-ouest de l’océan Indien[6].

Le scandale de la pêche
Le 28 juin 2012, la revue scientifique Marine Policy publie « Who gets what? Developing a more equitable framework for EU fishing agreements », article qui met en évidence que la contribution financière de l’Union européenne (en euros constants) en contrepartie des quotas de pêche à Madagascar a reculé de 20 % entre 1986 et 2010, alors que les quotas ont augmenté de 30 %. L’étude est portée et relayée par l’organisation britannique Blue ventures, le Pew Environment Group et des chercheurs de l’University of British Columbia (Canada). Le sujet a d’ailleurs été discuté le 2 juillet 2012 par le Premier ministre malgache Jean Omer Beriziky et Maria Damanaki, Commissaire aux Affaires maritimes et à la Pêche : la zone d’exploitation ouverte aux flottes européennes sera repoussée à 20 miles au large (contre 12 dans le protocole 2013-2014).
Le texte des chercheurs relayé par lemonde.fr apporte une nuance que les ONG ne véhiculent pas : « Les accords européens ne sont cependant pas les pires. Le Japon, la Chine ou la Russie établissent des accords encore moins avantageux pour les pays tiers, et surtout de manière totalement opaque, car les textes ne sont pas publics, contrairement à ceux de l’UE. » Frédéric Le Manach, co-auteur de l’étude, précise que « Jusqu’à présent, mes études ont principalement porté sur la pêche domestique et la pêche européenne. Très peu de données existent malheureusement sur les autres partenaires. Nous savons que d’autres accords de pêche existent (en dehors de l’accord européen discuté dans l’article du Monde), avec par exemple la Corée du Sud, le Japon, Taiwan et les Seychelles. À ma connaissance, la Chine n’a plus d’accords officiels depuis au moins une dizaine d’années (ils pêchent certainement de manière illégale). La Chine est cependant présente à Madagascar, par exemple à travers des capitaux implantés dans des sociétés de pêche à la crevette (par exemple SOMAPECHE), ou encore à travers tout le commerce plus ou moins licite du concombre de mer et de l’aileron de requin. »[7]

Le PIB de Madagascar étant évalué à 6,56 milliards d’euros en 2010[8], un blanchiment annoncé de 226,58 millions d’euros frappe par son énormité. Si le montant exact de ces scandales reste à évaluer, les 634 milliards d’ariarys d’argent à blanchir sont à rapprocher des 1000 milliards d’ariarys d’aide reçus sous forme de dons et de crédits par l’Etat malgache chaque année jusqu’à fin 2008. Bien que cette aide ait été réduite en 2009 et 2010 à 300 milliards d’ariarys, elle compose encore 80% du financement de l’Etat malgache en 2010[9]. Et les principaux donateurs seraient par ordre décroissant d’importance : « l’Union européenne (18% du total des dons), l’AFD (16%), the Global Fund to fight aids, tuberculosis and malaria – GFATM (9%), Fast track initiative (FTI) (9%), le Japon (7%), l’USAID (4%), l’Allemagne (4%) et l’UNICEF (4%). »[10] En revanche, les revenus fiscaux sont minimes (2 à 3 % du PIB)[11].
Dans la même veine, d’autres scandales sont annoncés, autour des pierres précieuses comme le grenat vert dont la certification internationale n’est pas encore faite (voir une étude de l’IRD à ce lien). Les conflits entre paysans et chasseurs de trésors nourrissent quelques articles. En outre, la côte de l’Afrique de l’Est regorgerait de pétrole. Fin juin 2012, Madagascar Oil[12] annonce que le site de Tsimiroro pourrait produire 1 000 barils d’huile lourde par jour dès 2013 et jusqu’à 150 000 barils de pétrole commercialisables par jour dès 2019. Et Madagascar reste une terre nourricière de l’océan Indien et au-delà, la littérature abonde sur le sujet, mais l’heure n’est plus au scandale : Tananews indique que Madagascar loue des terres agricoles « à un prix défiant toute concurrence » à des exploitants indiens, une information issue de l’India Times qui ne suscite aucun scandale.

Enjeux stratégiques discrets

Cette foison médiatique occulte des tendances de fond plus discrètes. Premier client de Madagascar, la France accueillerait 75 000 Malgaches tandis que 30 000 Français (une communauté plus nombreuse que n’importe quel pays africain) sont installés sur l’île. Sans oublier, les discrets Indiens, deuxième communauté sur l’île après les Français au début du XXe siècle, et dont les activités composeraient de 50 à 60 % du PIB de Madagascar. Et l’Afrique du Sud qui abrite l’ancien président Marc Ravalomanana (2002-2009) veille de près sur la feuille de route.

La France, « reny malala » (la mère chérie)
De 1895 à 1960, Madagascar fait partie de l’empire colonial français. Après le malgache, le français est la seule langue officielle reconnue par la Constitution de novembre 2010, après un bref intermède (2007-2010) où l’anglais le fut également. Et Madagascar fait partie de l’Organisation internationale de la Francophonie – elle en est suspendue depuis la prise de pouvoir par Andry Rajoelina. La France accueille en métropole et à la Réunion la première diaspora malgache — très discrète — et des associations de soutien à la population. À titre d’indication, l’association TINY, un « Collectif pour la Défense des Terres malgaches » domicilié à Paris, se mobilise sur le réseau francophone contre l’exploitation des ressources par des groupes internationaux (canadiens, australiens, ou encore le Sud-Coréen Daewoo).
L’État français soigne une image de non-ingérence dans les affaires intérieures de l’île, laissant à l’Afrique du Sud via la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC) le suivi de la feuille de route. Mais Paris s’active sur le plan diplomatique. Du 3 au 9 juin 2012 s’est déroulé l’exercice bilatéral franco-malgache « La Buse », interrompu depuis 4 ans. En voici la présentation par le ministère français de la Défense : il « s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la piraterie au large des côtes malgaches. En effet, pour les autorités malgaches, le site d’Antsiranana (Diego-Suarez) constitue un intérêt majeur dans le développement d’un dispositif régional de lutte contre la piraterie. » Au-delà, l’ambassade de France à Antanarivo précise qu’« en marge de cet exercice a été signé officiellement le document conjoint de procédure (protocole de partenariat entre l’armée malagasy et les FAZSOI), offrant pour la 1re fois, le cadre juridique, financier et réglementaire de toutes les activités militaires communes réalisées à Madagascar et à la Réunion. »
La présence française dans la région est d’abord territoriale : avec les bases d’Abou Dhabi et de Djibouti au Nord puis de part et d’autre de Madagascar le département de Mayotte, les îles Éparses et la Réunion, la France dispose de possessions et d’une ZEE qui lui donnent le contrôle stratégique du canal du Mozambique. L’enjeu est le suivant : les îles Éparses du canal de Mozambique (archipel des Glorieuses, îlots Juan de Nova, Europa et Bassas da India) ne peuvent « laisser indifférentes les grandes Puissances maritimes et nucléaires qui rivalisent dans cette partie du monde sur le double plan stratégique et politique et font la “chasse aux îles” afin de multiplier les points d’ancrage pour surveiller avec un maximum d’efficacité un gigantesque espace maritime de plus de 75 millions de kilomètres carrés. »[13]
En matière de normalisation des relations avec ses voisins, la France a présenté à la Commission des limites du plateau continental, conjointement avec l’Afrique du Sud, une proposition destinée à établir une frontière dans le canal du Mozambique (CLS/68). Cette demande conjointe a été déposée le 20 mars 2009, la veille de l’investiture d’Andry Rajoelina.

L’Inde, présente à pas feutrés
Dire que les activités indiennes à Madagascar sont discrètes relève de l’euphémisme, il s’agit d’un double inversé des Chinois sur le plan de l’image, mais non de la puissance commerciale ou stratégique. À titre d’exemple, le groupe indien Varun a acquis les mines d’uranium malgaches, des blocs pétroliers, se montre actif dans l’agrobusiness. En décembre 2011, il s’est associé au Chinois Da Qing Oil Field Co pour exploiter le pétrole off-shore du bloc 3101 (réserves estimées à 3 067 millions de barils). Depuis juillet 2007, Madagascar accueille une station d’écoute indienne dans le Nord de l’île. L’Inde a lancé en 2008 l’Indian Naval Symposium, ce qui lui permet de réunir autour d’elle les pays riverains de l’océan Indien[14] tout en écartant la Chine du processus. « La marine Sud-Africaine va prendre en charge la présidence pour la période 2012-2014. Et apparemment la 3e édition des IONS est prévue à Cape Town en Afrique de Sud du 10 au 14 avril 2012. Le thème des IONS 2012 est « Initiatives régionales de sécurité maritime, qui visent à réduire les menaces modernes de sécurité maritime » ».
Dans un article publié le 20 juillet 2012 dans Foreign Policy Journal, Nabeel A. Mancheri et Shaantanu Shankar soulignent l’activisme de l’Inde pour sécuriser ses approvisionnements, dont 90 % arrivent par voie maritime, l’Afrique (Namibie, Malawi, Afrique du Sud, Niger) constituant son premier fournisseur d’uranium. Cet article détaille également les déploiements réguliers le long des côtes est-africaines, pour sécuriser le canal du Mozambique et déployer son drapeau. Le 7 mai 2012, l’Indian Ocean Rim Association for Regional Co-operation (IOR-ARC)[15], présidée par l’Indien Kocheril Velayudhan Bhagirath a inauguré ses locaux à Ébène (Maurice). Fin juin, l’Inde a accordé une aide d’1 million de dollars US officiellement pour faciliter la mise en place des projets de l’IOR, à commencer par la sécurité maritime de l’océan Indien, et de fait pour peser davantage dans les rouages.

L’Afrique du Sud, maître d’œuvre de la feuille de route pour Madagascar
L’Afrique du Sud préside actuellement la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et accueille sur son sol Marc Ravalomanana depuis son exil en 2009. Sous l’égide de Jacob Zuma, la troïka de la SADC a donné jusqu’au 31 juillet à Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana pour s’entendre sur une feuille de route débouchant sur des élections. Et le président sud-africain a assisté à leur rencontre le 25 juillet aux Seychelles.
Du point de vue de Francis A. Kornegay, Jr., les menées diplomatiques de l’Afrique du Sud dans l’océan Indien font écho à la logique trilatérale de l’IBSA (Inde, Brésil, Afrique du Sud) qui consiste à créer un axe Atlantique Sud-Océan Indien. Preuve en est, l’exercice naval IBSAMAR réunit les trois pays tous les deux ans depuis 2008. Une étude de ce chercheur publiée par le think-tank indien Observer Research Foundation éclaire les intérêts mutuels de New Delhi et Pretoria à privilégier la géométrie de l’IBSA à celle des BRIC qui avantage la Chine et la Russie et une logique continentale eurasiatique.

L’échiquier qui apparaît en changeant d’échelle laisse en définitive peu d’espoir à Madagascar, sauf à imaginer que courtisée de toute part, la population, parvienne à « diviser ses prétendants pour mieux régner ». Pour ce faire, les Malgaches doivent dépasser des tensions inter-ethniques, supposées et/ou avérées, mais toujours instrumentalisées au détriment de la population. Détournements divers et variés, grande pauvreté de la population, corruption des élites, bandes armées et prolifération des AK-47 livrent aujourd’hui l’île aux batailles de ce CHIMEA (China-India-Middle-East-Africa) qui fait de l’océan Indien un nexus de premier plan, et selon Robert Kaplan[16] le futur centre de gravité mondial. Dans cette perspective, « le port de Diego-Suarez,  potentiellement au cœur du commerce mondial présente tous les atouts pour devenir une concession sur le modèle de Hong-Kong, la potion peut sembler bien amère, mais un relatif abandon de souveraineté sur une sorte de légation internationale canaliserait et institutionnaliserait les appétits des uns et des autres. La croissance de la zone administrée par un consortium européano-sino-indien serait probablement telle qu’elle résoudrait une bonne part des problèmes économiques de l’île. »[17]

Sophie Clairet

Image du haut : Baie de Diego-Suarez au nord de l’ïle (2005). Un site remarquable, une situation stratégique de premier plan. Image de belgianchocolate sur flickr.

Notes

[1] Sur la base d’un taux de change : 1 euro pour 2 800 ariarys.
[2] Madagascar : le groupe chinois WISCO projette d’installer un grand port à Soalala, Xinhua
[3] Banque mondiale, Revue des dépenses publiques. Madagascar : politique budgétaire et investissement public en période d’instabilité politique, Volume 1 : Rapport Principal, septembre 2011, p. 24.
[4] Cet article renvoie au site Madagascar Environmental Justice Network, accessible aux seuls membres. Un réseau créé par l’universitaire britannique Barry Ferguson en 2010.
[5] La Chine est prête à développer ses relations militaires avec les Seychelles, affirme un responsable chinois, Xinhua
[6] Chinese military base in Indian Ocean?, 13 décembre 2011, sur timesofindia<
[7] Propos recueillis par Sophie Clairet, le 24 juillet 2012.
[8] Source Instat, MAEE.
[9]  Banque mondiale, Revue des dépenses publiques. Madagascar : politique budgétaire et investissement public en période d’instabilité politique, Volume 1 : Rapport Principal, septembre 2011, p. 29.
[10] Banque mondiale, Madagascar, la loi de finance 2011, 12 décembre 2008, p. 4.
[11] Banque Mondiale, septembre 2011, op. cit., p. XI.
[12] Premier opérateur pétrolier on-shore à Madagascar, filiale de droit malgache d’une société domiciliée aux Bermudes.
[13] André Oraison, « Radioscopie critique de la querelle franco-malgache sur les îles Éparses du canal de Mozambique », RJOI 2010, n°11.
[14] Pour la côte est africaine : les Comores, Djibouti, l’Egypte, l’Erythrée, la France, le Kenya, Madagascar, Maurice, le Mozambique, la Somalie, l’Afrique du Sud, le Soudan et la Tanzanie, http://ions.gov.in/?q=fr/french/about_ions [15] Cette association de 19 pays n’accorde qu’un statut de partenaire de dialogue au Royaume-Uni, à la France, aux États-Unis, à la Chine, à Égypte et au Japon.
[16] Robert D. Kaplan, Monsoon: The Indian Ocean and The Future of American Power, Random House, octobre 2010. Journaliste, il fut nommé au Defense Policy Board, comité consultatif du Dod, par Robert Gates et y siège jusqu’en 2011.
[17] Eric Grémont, président de l’OpesC, propos recueillis par Sophie Clairet.

Un avis sur ce texte : blog de Sébastien Fath

9 réponses sur « Madagascar, quelques enjeux de la crise »

Je viens de lire votre article avec grand intérêt. Il y a tout de même quelque chose qui me gène beaucoup dans ce texte , à savoir les propos d’un certain Eric Gremont sur l’administration internationale (une sorte d’humiliante concession à la Hong Kong) de Diego Suarez. Je trouve ces propos tres irresponsables et dangereux. Si tels sont vraiment vos désirs, il vous faudra nous passer sur le corps !!!!

Merci pour ce commentaire, que je comprends tout à fait. Le passage du texte que vous évoquez n’est rien d’autre que la fin d’une conclusion visant à susciter des réflexions. Vous pourrez y noter un certain second degré. Il n’est pas question pour ce blog se s’ériger en donneur de leçons ou en va-t-en guerre, soyez-en rassuré.

Super article qui regarde le choses avec une altitude certaine. Normal, c’est de la géopolitique internationale et mondiale. Comme du temps de la colonisation et jusqu’à maintenant, les grandes puissances économiques ne s’occuperont que d’exploiter les richesses naturelles du territoire. Ces mêmes grandes puissances organisent aussi l’acheminement de ces richesses vers la mer, pour ensuite les transporter chez eux. Le reste du territoire et la population ne fera (si elle en est consciente) que regarder tout ceci sans en être bénéficiaire.
Dans le cadre de la crise interne à Madagascar, qui semble se résumer à un duel entre Ravalomanana et Rajoelina, une troisième partie prenante me semble nécessaire à prendre en compte : L’armée Malgache. En effet, cette armée a justement été le bras armé qui a pu mettre en place ce régime de transition. Et cette armée a réussi à montrer qu’elle était capable de faire « régner l’ordre » à Antananarivo. Et tant que cette armée se sent soutenue par une grande puissance, elle fera toujours « régner l’ordre », et défendra celui qui a su défendre les intérêts personnels de ses membres : Andry Rajoelina. Et me semble-t-il, aucune autre grande puissance, ni même puissance régionale n’a désavoué les actes des membres de cette armée.

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