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Islande, un petit kaléidoscope des grands enjeux

Depuis la reconnaissance par le FMI des réussites islandaises, cette petite île singulière apparaît comme un laboratoire de l’innovation, une voie alternative face à la crise. Peuplée de 320 000 habitants qui s’identifient par leur prénom, l’île de glace s’apparenterait à notre mythique village d’irréductibles Gaulois, simples et résistants, lesquels puiseraient dans les entrailles de la Terre leur potion magique. Le rêve est permis, mais il existe quelques réalités qui méritent le détour : une défense assurée par Washington puis par l’OTAN, des élites formées aux États-Unis et à Londres, une candidature à l’Union européenne et un accord de libre-échange avec la Chine prévu en 2013 (6 accords signés en 2012).

Les vaillants héritiers de l’âge des Sagas

L’âge des Sagas (930-1030) s’ancre dans l’unification du pays et commence par la création du premier parlement existant du monde, l’Althing (assemblée des hommes libres), fort de 36 chefs représentants chacun une communauté. Malgré l’union avec la Norvège, il ne fut suspendu que très brièvement (1799-1844) et compte désormais 63 membres élus au suffrage universel direct au scrutin proportionnel plurinominal.
Ces deux dernières années – mais les exemples historiques sont nombreux – les Islandais, ces « démocrates » de la première heure, ont adopté de nouvelles mesures.
Par deux référendums successifs (2010 et 2011), ils ont rejeté les plans de remboursement de la dette contractée par la banque Icesave. Alors que le parlement était parvenu à un accord, les citoyens ont formulé leur « non ». Soutenus par leur président ils ont manifesté leur priorité pour la protection de l’intérêt général contre les intérêts financiers[1] et leur colère face à l’utilisation en 2008 par Londres d’une loi anti-terroriste (contre un pays membre de l’OTAN donc) pour rentrer dans ses fonds.
Le 16 juin 2010, le parlement adopte à l’unanimité l’Initiative islandaise pour la Modernisation des Médias (MMI), loi destinée à faire du pays « l’inverse d’un paradis fiscal ; en offrant aux journalistes et aux éditeurs une des protections les plus importantes au monde en faveur de la liberté d’expression et du journalisme d’investigation. L’objectif du paradis fiscal est de rendre tout opaque. Notre objectif consiste à tout rendre transparent » (Birgitta Jónsdóttir, députée). Ce projet politique est également porté par des organisations comme Wikileaks, Index on Censorship, Icelandic Digital Freedoms Society.
Enfin, « Démocratie participative »[2], « résistance citoyenne », « premier projet citoyen de Constitution »[3], « Constitution par et pour les citoyens »[4] : quelques unes des formules qui ont accompagné dans nos médias l’annonce du référendum tenu le 20 octobre 2012 en Islande. Cette nouvelle étape de la vie politique islandaise sanctionne deux années de travaux participatifs et doit doter le pays d’une nouvelle Constitution dont voici le préambule : « Nous, peuple d’Islande, souhaitons créer une société juste offrant les mêmes opportunités à tous. Nos origines différentes sont une richesse commune, et ensemble nous sommes responsables de l’héritage des générations : la terre, l’histoire, la nature, la langue et la culture ».
Voilà une rapide revue des innovations dont l’inscription sur le plan de la politique intérieure ne doit pas cacher une portée à l’extérieur : finalement l’Islande fait la preuve qu’il est possible à un petit pays de suivre « sa » voie et la voix du peuple.

La résistance aux grands : pas d’armée mais des faits de guerres

L’Islande est neutre depuis 1918, ne dispose pas de force armée et sa défense est assurée par les États-Unis. Elle est membre depuis 1949 de l’OTAN, qui assure depuis 2008 sa surveillance aérienne, le dernier soldat US ayant quitté le sol islandais en 2006. L’île bénéficiant d’une situation stratégique aux portes de l’Arctique, elle a pu disposer du parapluie allié à moindre frais et se concentrer sur ses propres priorités : la surveillance de ses richesses maritimes.
On doit en effet à l’Islande d’avoir vaincu le Royaume-Uni dans une guerre navale, dont l’intitulé manque sûrement de panache (« guerre de la morue ») mais pas d’efficacité. Entre les années 1950 et 1970, l’Islande vainquit après trois « batailles » davantage économiques que militaires, où elle engagea quelques centaines de garde côtes face à la Marine britannique. La petite île a unilatéralement accru sa zone de pêche à 200 milles en une vingtaine d’années, une position officiellement reconnue par les Britanniques en 1976 puis par la Convention de Montego Bay en 1982. Les pêcheurs d’Islande sont en quelque sorte à l’origine de cette mesure de 200 milles qui depuis s’applique au monde entier. Les patrouilleurs islandais se montrèrent particulièrement virulents face aux chalutiers britanniques et forcèrent l’adversaire à déployer de nombreux bâtiments : après avoir dépensé 500 000 livres (53 navires déployés), Londres cède en 1964 – fin de la première guerre de la morue avec une extension des eaux islandaises à 12 milles. En 1971, l’Islande décide d’aller jusqu’à 50 milles et obtient l’accord de la Norvège et de la Belgique. La RFA et le Royaume-Uni résistent quelques temps, déploient leur arsenal. L’Islande menace de quitter l’OTAN… Guerre froide oblige, l’OTAN fait plier Londres et Bonn (capitale de la RFA) en octobre 1973 – cela n’empêchera pas quelques mois plus tard le chalutier britannique Forester d’être arraisonné dans les nouvelles eaux islandaises après avoir été atteint par un canon islandais. La troisième guerre de la morue s’achève en 1975 sur la reconnaissance des 200 milles après pression des États-Unis sur le Royaume-Uni – l’Islande ayant menacé de fermer la base de l’OTAN et de ne pas se fournir auprès de Washington pour ses patrouilleurs.
Dans ces opérations, l’Islande a choisi une stratégie adaptée à ses moyens : forcer les États-Unis à la protéger, en monnayant les atouts de sa position stratégique dans le Grand-Nord. Le mode opératoire ne fut pas de quémander mais de rompre (certes temporairement) les relations diplomatiques avec Londres, de harceler les chalutiers britanniques (en envoyer un par le fond également) jusqu’à l’obliger à un engagement de forces très onéreux. En face, Londres a « laissé tomber » sa flotte de pêche.

Autour d’un site stratégique : intérêts et prédateurs

L’aide accordée par le FMI est remboursée depuis le 12 mars 2012 et l’agence de notation Fitch a relevé sa notation. Les indicateurs de croissance sont au vert. La dévaluation de la monnaie a joué à plein, au final seules les banques et quelques responsables politiques ont été sacrifiés[5].
Pour la suite les rapports de force se complexifient. Quels sont désormais les intérêts pour l’Islande d’être membre de l’Union européenne ? La question se pose au vu de l’avancée des accords avec la Chine. Trois jours après d’un référendum salué comme un modèle d’avancée démocratique, IceNews annonce que l’accord permettant au groupe Beijing Zhongkun Investment de louer 300 km2 de terres dans le Nord de l’île pourrait être signé d’ici quelques semaines. Pour sa part, Baldur Thorhallsson, professeur de sciences politiques à l’université d’Islande, précise que le gouvernement examine la proposition mais que rien n’est décidé[6]. Le président du groupe chinois, Huang Nubo, ancien membre du département de la Propagande et du ministère de la Construction, souhaite édifier un complexe touristique, comprenant un hôtel et un golf. En 2010, il a créé le fonds culturel sino-islandais. En 2011 son offre au gouvernement (contre 7,5 millions d’euros) a été refusée une première fois. En avril 2012, la Chine et l’Islande ont signé une série d’accords, dont un accord-cadre sur l’Arctique. À la beauté des paysages, argument utilisé par Huang Nubo, s’ajoute la proximité avec les futures routes de navigation, des gisements d’hydrocarbures[7] et des technologies éprouvées en matière de géothermie. Sous les effets de la crise, la montée en puissance du partenaire chinois dans ce pays où l’initiative MMI souhaitait « tout rendre transparent » est un curieux revers de l’Histoire. À moins que les Islandais aient décidé d’insuffler dans l’Internet chinois une dose de démocratie, le rêve est possible après tout…

Sophie Clairet

Image du haut : Gulfoss (Islande), autrement dit la « chute d’or », par Loïc Lagarde sur flickr.

Notes

[1] http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/banque/20111031trib000660669/affaire-icesave-apres-trois-ans-de-feuilleton-financier-le-happy-end-en-vue.html
[2] http://www.france24.com/fr/20110729-islande-projet-constitution-collaborative-participatif-twitter-facebook-youtube-comite-conseil-parlement-referendum
[3] http://www.euractiv.com/fr/elargissement/les-islandais-soutiennent-le-pre-news-515559
[4] http://www.lefigaro.fr/international/2012/10/22/01003-20121022ARTFIG00495-islande-une-constitution-par-et-pour-les-citoyens.php
[5] http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20120831trib000717168/sortie-de-crise-bons-baisers-d-islande.html
[6] Information communiquée à l’auteur le 22 novembre 2012.
[7] http://www.grapevine.is/Features/ReadArticle/China-and-Iceland-Friends-With-Benefits

Pour aller plus loin sur la stratégie de l’Islande et des petits États voir les publications de Baldur Thorhallsson à : http://uni.hi.is/baldurt/publications/academic-papers/

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