Comment la France a basculé en une trentaine d’années, d’un pays de production à un pays de périproduction – autrement dit de services sans relation directe avec la production de richesses ? Dans son ouvrage, La France, les mutations du système productif, Laurent Carroué en donne une illustration à travers le concept de système productif. Voilà une nouvelle dimension – fonctionnelle – et non plus seulement sectorielle de l’économie et de l’industrie qui permet de mieux articuler économie, sociétés, territoires en mettant l’accent sur le rôle des villes et de la hiérarchie urbaine, le poids de Paris, la notion de France autonome… Présenté il y a plus de vingt ans, un peu perdu de vue par les géographes, le concept de système productif est repris par d’autres dont l’INSEE. Cette belle rupture épistémologique compose également une boite à outils pour comprendre la crise actuelle et ses dynamiques spatiales. D’ailleurs, les jurys des agrégations ont choisi pour 2014 d’en faire un nouveau sujet. L’ouvrage de Laurent Carroué s’adresse d’abord à un public de géographes préparant le concours de recrutement des enseignants de lycée, mais ses apports dépassent ce seul cadre.
Définitions & enjeux
« Nous définissons le système productif comme l’ensemble des facteurs et des acteurs concourant à la production, à la circulation et à la consommation de richesses (…) Il se fonde sur un nouveau découpage fonctionnel identifiant deux grandes sphères. Premièrement, la sphère de la reproduction sociale (administrations publiques, formation, enseignement, santé, services aux particuliers, distribution et commerce de détail…) qui se moule globalement sur la géographie de la population. Deuxièmement, la sphère productive qui produit l’essentiel des richesses, et est géographiquement plus discriminante et largement articulée à la hiérarchie urbaine ». (op. cit. p 11)
Utiliser ce concept constitue en géographie économique une véritable rupture intellectuelle, scientifique et épistémologique d’avec l’approche ternaire classique secteur primaire/ secondaire/ tertiaire, en particulier concernant l’« industrie » et sa place dans l’économie, la société et le territoire de la France métropolitaine. Nous avons appris à classer les productions des pays et à comparer les pays entre eux selon une classification qui disparaît sous les effets conjugués de la « révolution technologique, scientifique et informationnelle » (op cit p.14)
Le sens des données
Les nombreuses données permettent de tracer le basculement de l’emploi en France :
L’appareil cartographique éclaire les spécialisations des territoires, économie productive pour les uns, captation de richesses pour d’autres, territoires exposés, territoires protégés, le tout en changeant d’échelle (nationale, régionale, métropolitaine).
Au delà du strict sujet de concours, cet ouvrage met en lumière et en questions un certain nombre de pistes d’analyse et de réflexion concernant l’insertion de la France en Europe et dans le monde, à ce titre il apporte un regard géographique novateur sur les grandes questions actuellement en débat. C’est aussi un autre regard sur les différences avec l’Allemagne ou les ressemblances avec le Royaume-Uni à l’heure où la quête éperdue de solutions fait parfois oublier les ancrages géographiques.
Réflexions personnelles en paysages
Après avoir lu cet ouvrage, j’ai considéré sous l’angle des mutations du système productif quelques paysages. En voici deux lectures personnelles, l’une concernant la vallée de la Durance, l’autre Puteaux, à quelques encablures du quartier d’affaires de la Défense.
Sous les rochers (témoins de quelques incendies), le canal EDF canalise depuis les années 1960 les eaux tumultueuses de la Durance (gestion des crues et irrigation) et alimente les centrales hydroélectriques. La vaste tache grise qui le longe (centre de la photo) : le parc solaire de 14 ha inauguré par la mairie le 20 septembre 2013, l’un des premiers des Bouches-du-Rhône. En voici la présentation sur le site de la mairie : « Terrain classé agricole, inconstructible, plat, meuble, bien orienté au sud, permet l’exploitation et la production d’énergie renouvelable, là où il n’y aurait eu sans doute rien d’autre que des friches. » De mon point de vue, les paysans ont pratiquement disparu de Charleval, le terroir est très riche, irrigué, tout y pousse (les asperges, les melons, etc.). Après l’arrivée des touristes et des périurbains, voilà le solaire qui rend visible les mutations des systèmes productifs, y compris à l’échelon de gestion politique (projet décidé par une commune qui se trouve engagée pour 40 ans).
Traitement appliqué sur inspiration d’Hervé Théry : du noir et blanc sur le bâtiment « résiduel », les couleurs étant affectées au résidentiel haut de gamme (à droite du cliché), aux tours de la Défense et à Défense 2000 en arrière-plan à gauche. Le quartier d’affaires avance et avec lui se modifie le cadre de l’habitat et des petits commerces de proximité tandis que se rétrécit l’éventail socio-démographique des habitants. Parions que d’ici peu de temps, un grand coup de lifting fera basculer en tout autre chose ce bloc qui longe la place de la mairie, jadis immeuble bourgeois désormais à la limite de l’abandon (en tout cas visuellement pour les étages et pas que visuellement pour le rez-de-chaussée). La grue en arrière plan coiffe un tout nouveau programme immobilier à l’enseigne évocatrice (Vivre Franco Suisse).
Sophie Clairet
Image du haut : Couverture de France. Les mutations du système productif, de Laurent Carroué (A. Colin).
2 réponses sur « La France – Les mutations du système productif »
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Bons concours à tous !