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L’influence organisée des mégadonnées ou l’apparente simplicité des défilés de mode des infographies

Les datavisualisations, ces fresques en graphiques et dessins se sont banalisées dans notre paysage. Mais de quoi parlent-elles ? Qu’est-ce qu’elles révèlent et veulent nous dire (approche minimaliste) ou nous faire penser (approche « neuromarketing »), de quelle construction du monde participent-elles (approche géopolitique) ?
Nous sommes très loin de la grotte de Lascaux où l’on dessinait avant l’invention de l’écriture – même si sms et autres tweets font oublier le sens des lettres, la musique des mots et des arguments. Aujourd’hui, les concours d’infographie récompensent la qualité de mise en forme des données (valeur esthétique) et son efficacité (valeur d’influence). A l’initiative de ces défilés, on peut citer la presse avec la Society for News Design (SND) basée en Floride et qui regroupe 2600 journalistes visuels* du monde entier, associée aux écoles de design comme l’université de Navarre à Pampelune pour le prix mondial d’infographie Malofiej décerné en mars depuis 22 ans. Les agences d’études de marché-marketing ont suivi le mouvement, avec notamment Kantar pour le prix « Information is beautiful » décerné en novembre depuis deux ans. C’est au tour des pourvoyeurs de mégadonnées d’une part et de « communautés d’intérêts d’utilisateurs » d’autre part de faire leur apparition sur la place. Voilà pourquoi on peut y trouver un intérêt géopolitique : quels sont les acteurs et que se passe t’il en termes de territoire de référence pour les sociétés ? Ce très court texte ne prétend pas donner des réponses mais organiser un certain nombre d’interrogations.

Sur ce sujet

J’ai commencé une première version en octobre 2013, avant l’attribution du prix Kantar 2013. L’angle d’attaque était alors « Défilés de mode chez les big datas ». La sous-représentation de l’Europe était tout simplement énorme alors même que se diffusait massivement la mode de la visualisation des données. Cela m’interpellait mais ma clé de lecture ne dépassait pas deux constats : la presse et les infographistes français étaient à la remorque de la mode (codes visuels « vintage » créés ailleurs), mais rien de nouveau depuis vingt ans si l’on regarde bien les nationalités des concurrents de Malofiej. J’ai mis en ligne un premier sujet Derrière les images que celui-ci complète.

Répartition des acteurs

En 2011, visualjournalism.com dressait le constat suivant pour le prix Malofiej dont les concurrents américains avaient remporté le prix : « Félicitation aux vainqueurs, et au reste du monde je dis : mettez-vous au travail pour que nous puissions obtenir des récompenses un peu équilibrées lors du Malofiej 20, annoncé comme un événement encore plus grand que d’habitude. »

Rules-in-infographic-worldL’infographie réalisée par le Danois Gert K. Nielsen, qui se présente sur Twitter comme « Business Owner at Emotion Infographics », était sans appel.

Trois ans plus tard, Malofiej 22 a récompensé surtout et avant tout The New York Times. Une représentation que n’a pas manqué de souligner le réseau brésilien nupejoc (Núcleo de Pesquisa em Jornalismo Científico, Centre de recherche en journalisme scientifique) « NY Times é o grande vencedor do Malofiej 22 ». Voici ce que l’on peut faire dire à la liste présentée sur le site de l’organisateur :

Malofiej

Le blog datavizualisation.fr a souligné pour sa part que pour la première fois un Français participait au jury – la rédactrice en chef de Courrier International. Il est bon de préciser que ce journal sélectionne et diffuse en France des articles issus de la presse mondiale. Ce sont des experts du New-York Times et de la NASA qui ont animé des ateliers.

Il est plus compliqué de distinguer par nationalité les concurrents et vainqueurs du prix Kantar, décerné à Londres dans quelques jours par le 2e groupe mondial en marketing et communication. Notons un changement de domaine, nous ne sommes plus dans le spectre de l’information de presse mais dans celui du marketing. Le site Kantar « Information is Beautiful » et la page Facebook dédiée au concours ne se prêtent pas à l’information : les sponsors ne sont pas mentionnés et les pays ne composent pas une donnée à communiquer. Le site donne le vertige en donnant à voir des dizaines de propositions pour six catégories : « Data Visualization, Infographic, Interactive Visualization, Motion Infographic, Tool et Website ». Notons également l’orientation clairement virale du concours, Kantar primant à la fois des réalisations et des outils de diffusion. Le seul sujet de l’exemple qui suit est typiquement « viral ».

You be the judge "uh" verus "um"

Une différence de taille par rapport au prix Malofiej : « You be the judge ! ». Pour cautionner le sérieux, deux lettres sont fournies à profusion sur ce site : « Dr » pour titulaire d’un doctorat.

Si les neurosciences ne sont pas loin dans un prix marketing, c’est qu’elles constituent un acteur du panorama. Elles ont elles-mêmes leur prix d’infographie qui offre notamment un séjour au MIT, dans le cadre de l’initiative Brain Research through Advancing Innovative Neurotechnologies (l’acronyme Brain signifiant aussi cerveau) lancée par le président Obama en 2013.

brainMIT Eye Wire – plate forme interactive du MIT qui appelle actuellement à participer à un jeu pour cartographier le cerveau – le fabriquant de microscopes FEI et la plate forme d’hébergement d’infographies visual.ly se sont associés pour lancer ce concours.

Or comme chaque géographe sait, quand on cartographie, c’est qu’en général on veut conquérir.

La phase actuelle est celle où l’individu crée lui même des infographies à partir des données qui lui sont proposées en utilisant des outils gratuits. Chacun d’entre nous s’approprie des informations qui nécessitaient auparavant pour les diffuseurs de lourdes campagnes publicitaires sans garantie d’être assimilées. Chacun d’entre nous va les diffuser à son propre réseau. Et il n’est pas interdit de penser que chacun d’entre nous émette sous d’autres formes encore, et sans y prendre garde, des données via l’utilisation d’outils gratuits de mise en forme.

Sophie Clairet

Image du haut : Image du concours de dataviz lancé par Google en 2012 à l’occasion des présidentielles françaises.

* Expression peu usitée en français, renvoyant à une catégorie de journalistes maîtrisant à la fois les vecteurs visuels et textuels pour diffuser l’information. On en trouve une définition sur Wikipedia et une utilisation dès 2009 aux Assises internationales du journalisme.

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La France dans le monde. Fiction

La France quitterait le Conseil de sécurité des Nations Unies pour adopter un statut de neutralité.
Une fiction sans prétention pour se projeter dans l’avenir et laisser imaginer une vision politique qui tienne compte du contexte avant de réfléchir aux moyens. Le monde a changé, la troisième mondialisation, selon les termes de Laurent Carroué, est celle de la montée des Suds.

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Madagascar, quelques enjeux de la crise

À la veille de l’annonce d’un calendrier électoral supposé faire sortir l’île de sa mise à l’index, alors qu’elle reste sous l’administration d’une Haute Autorité de Transition (HAT) présidée par Andry Rajoelina, l’île-continent défraie régulièrement la chronique internationale. Le scandale du bois de rose, le pillage des eaux territoriales, les méandres du déblocage du processus politique, l’octroi d’une aide européenne, la disparition des lémuriens, les promesses pétrolières, la mutinerie d’une caserne sont autant de faits qui soulignent la diversité et la complexité des problèmes qu’affrontent une population pauvre et un État embryonnaire.

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Récits

Regard d’une Malgache en France

Aina*, une trentaine d’années, mariée, deux enfants, employée près de Paris. Ce récit est présenté au titre de témoignage. Il offre un regard tout à fait subjectif, celui d’une personne de l’élite malgache « réfugiée » en France et qui a « tout perdu ».

Voici son récit

« Je suis arrivée en France en 2009. Ma famille est restée à Madagascar et je ne l’aie plus vue depuis. Je leur parle au téléphone, ils me disent que les choses empirent, que des bandes rançonnent tout le monde et que même pour des vacances, revenir les voir serait trop risqué. Alors même si ce pays est merveilleux, un bijou de la nature, pour notre semaine de vacances cet été, nous prendrons au dernier moment un voyage dans un club en Méditerranée. Ce sera moins cher. Là bas, j’avais une grande maison, je ne travaillais pas, mes enfants allaient à l’école française. Mon mari travaillait pour un groupe français qui le payait très bien. Puis il y a eu le coup d’État. Le président précédent avait fait de bonnes choses. Mais un jour, il a vendu des terres à des Chinois** et s’est acheté un avion privé avec cet argent. Ce président faisait de bonnes choses pourtant, mais vous savez comment sont les présidents. Depuis, le pays n’est pas dirigé, on a un jeune président par intérim et il s’accroche, il ne veut plus lâcher le pouvoir. Depuis, c’est la violence, on kidnappe, on rançonne. Le groupe français qui employait mon mari est reparti. On avait peur pour nos enfants, surtout parce qu’on faisait partie de ceux qui avaient un peu réussi, alors on est venus en France. Je suis arrivée avec une valise, j’ai tout laissé. Heureusement mes enfants étaient allés à l’école française et travaillaient bien, ils ont pu s’adapter à l’école ici. Mais c’est dur de tout recommencer, de vivre dans du béton alors que là bas c’était si beau. Ici on mange du plastique, là bas vous ramenez le poulet vivant du marché. Le poisson est frais. Il y a tout à Madagascar pour que ce soit un paradis, et c’est la misère et la violence. Il reste les Chinois et les Indiens, ils font du business. Maintenant les Chinois parlent le malgache. L’école française où allaient mes enfants a fermé ».

Fleur de vanille, premier produit d’export de Madagascar. Photo par urzaphoto sur flickr.

Propos recueillis par Sophie Clairet, le 10 juillet 2012.

Image du haut : Belo-sur-Mer pirogue, par Franck Vervial sur Flickr.

* le prénom a été modifié.
** Cette personne se réfère à la vente de terres arables à l’entreprise sud-coréenne Daewoo, laquelle n’a pas eu lieu mais le scandale généré a participé à la chute du président Marc Ravalomanana.