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De Metz à Pau, premières impressions

Je n’étais jamais venue à Pau. Il y a tout juste quatre ans, je n’avais jamais non plus foulé le sol lorrain avant de poser les valises à Metz. Dans les deux cas, déménagement en quelques semaines, accélération du temps pour soudain boucler tous les dossiers, coupure rapide de toutes les habitudes, perte de tous les visages connus. À l’arrivée tout est nouveau, on se tait, on écoute, on observe, on apprend. On se sent très seul aussi, même si on l’a choisi et qu’on en sortira plus riche d’expérience. Il faudra tout reconstruire.

Avant que l’habitude s’installe, voici un recueil d’impressions subjectives, les premiers traits sur la page blanche qui resteront indélébiles. Ni analyse ni roman.

Sur la route

Venant du Queyras samedi 17 août au soir, me voici sur une autoroute deux voies qu’il faut quitter pour rouler « à l’aise » par Foix et Saint-Gaudens, loin des vacanciers en pilote automatique agglutinés en direction de Toulouse. Sur la route, premier plan du paysage, la gamme des véhicules locaux est très vaste, toutes les marques, toutes les tailles. De quoi bien saisir à rebours à quel point la région messine est peuplée de berlines allemandes immatriculées au Luxembourg – c’est une partie du salaire bien souvent, signe extérieur de défiscalisation plus que de richesse pour les frontaliers. Je revois comme en flash l’entretien de Laurent Castagnède sur Thinkerview[1], les nouveaux esclaves qui se payent eux même le transport pour aller travailler. Ceux-là en sont à mettre le surplus de leur richesse dans cette servitude. Et bien à Pau, on peut encore croiser la « bagnole » qui ne (se) prend pas la tête.

Sur la route, les panneaux en français, en béarnais, Toulouse, Bordeaux, Saragosse. Impression très exotique, « Saragosse ». Et première interrogation sur la frontière locale. « Regardez les enfants, on est à côté de l’Espagne ». Regards interloqués des jeunes devant cette paroi des Pyrénées. On ne risque pas de la voir l’Espagne, ni même de la deviner. Saragosse figure sur les panneaux car quelques dizaines de kilomètres vers le sud, le tunnel du Somport perce le massif avec la Nationale 134. Encore faut-il le savoir avant de lire les panneaux, pas d’annonce d’un « axe structurant ». Et pas de file ininterrompue de poids lourds de toutes origines comme sur cette A31 saturée de Nancy à Bettembourg, la grande plateforme multimodale luxembourgeoise.

Fonction capitale

Quelques pas en ville pour découvrir un château de roi, un parlement de Navarre, des chants entonnés à l’unisson par des centaines de personnes lors de l’Hestiv’Òc, le festival occitan, toujours la musique, la fête organisée par et pour les gens de la région. Je suis attirée, j’y retrouve les codes de ma Provence natale, avec en plus la joie, beaucoup de jeunesse, moins de folklore pour touristes et plus de spontanéité. Je me dis que les fêtes provençales devaient ressembler à cela « avant ». « Avant quoi », par contre ? Les chants polyphoniques me touchent au cœur, le groupe lance « on est mieux ici ce soir qu’au G7 à Biarritz ». Ici on chante pour la paix, l’amitié entre les peuples, un verre de Jurançon à la main. Aucun verre de soda américain, du jus de pomme local, les « burgers » sont remplacés par des noms exotiques au canard et autres pantagruéliques inventions. Je me sens bien. Et que dire des petits cornets de pommes de terre réinventées en frites fondantes et grillées on ne sait comment. Bref, on se retrouve avec un ado rebelle qui marque le tempo du groupe occitan. Et on sent qu’il va falloir s’y faire, le skate sous le bras mais le foulard jaune et rouge au cou, la croix occitane au porte-clés.

Depuis le 17 août, on ne m’a encore jamais demandé d’où je venais. Si je suis là, c’est que je suis là. On ne m’a encore jamais dit que Pau était la plus belle ville de France. Je n’ai pas encore vu passer le mot « attractivité ». Alors je me plais à espérer qu’ici, la ville soit encore tournée vers les gens simples, ceux qui conduisent les bagnoles simples comme la mienne.

J’imagine que Pau est une capitale qui n’a jamais cessé de l’être, qui célèbre Henri IV, ce roi si sage qui pacifia un royaume mis à feu et à sang par des monarques hors-sol qui avaient fait passer la religion avant la réalité.

Rois et Palois. Spectacle son et lumière projeté en été dans la cour du château de Pau, gratuit, dédié à Henri IV et à son action pacificatrice. Cliché pris le 24 août 2019 avec grande émotion, jour anniversaire du massacre de la Saint-Barthélémy, Sophie Clairet.

Même pas une « métropole », Pau n’en a pas le statut décidé par Paris. Mais capitale, oui. J’en ai reçu la confirmation ce matin au bureau d’Idelis, l’agence de transport urbain où j’étais passée faire établir la carte de bus illimité annuelle des enfants. Au guichet, l’on m’a demandé mon adresse, une photo et la carte d’identité des jeunes, 55 euros par carte. Je m’attendais par habitude à fournir une preuve de domicile et à payer plus de 220 euros (par carte). Pas besoin ici. C’est évident après tout, quand on rayonne, on ne met pas de limite. Et tous les enfants, peu importe qu’ils soient palois ou originaires de l’une des 36 autres communes de l’agglomération, payent le même tarif dans les piscines. Et au tarif dérisoire du bus, ils convergent vers le centre de Pau pour le plus grand bénéfice des commerces…

Juste une capitale, naturellement.

Sophie Clairet

Photo du bandeau : cliché pris depuis le funiculaire qui conduit au boulevard des Pyrénées le 20 août 2019.

[1] https://www.youtube.com/watch?v=5gOsjIxR7T0

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