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Des perturbations à prévoir pour les générations futures

Couverture du rapport. UNEP et OMS, State of the Science of Endocrine Disrupting Chemicals 2012, février 2013, 261 p.

La santé dépend du bon fonctionnement du système endocrinien, qui régule la sécrétion d’hormones essentielles au métabolisme, à la croissance, au développement, au sommeil et à l’humeur – liste non-exhaustive. Le 19 février 2013, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Programme des Nations-Unies pour l’environnement (PNUE) publient State of the Science of Endocrine Disrupting Chemicals, rapport présentant les effets des perturbateurs endocriniens (PE) sur la santé et insistant sur la nécessité de mieux connaître ces produits. Quelques jours plus tard, les autorités chinoises reconnaissent l’existence de villages du cancer. En Europe, premier marché mondial de l’industrie chimique, les entreprises se préparent à la nouvelle phase de Reach : il leur est demandé d’enregistrer des substances chimiques produites dans de faibles volumes (100 à 1000 tonnes/an).
Le cocktail enjeux de santé publique-industrie sur fond de crise et de chômage nous accompagne en ce début d’année. Voici quelques éléments de langage, en images et en cartes.

Message compliqué, image simple (février 2013)

Message compliqué que ce titre State of the Science of Endocrine Disrupting Chemicals (État de la science sur les perturbateurs endocriniens). Le visuel élargit le spectre, c’est toute l’humanité qui est concernée, à commencer par le monde de demain, celui de nos enfants. La quatrième de couverture porte cette indication « Endocrine Disrupting Chemicals have many sources » (les perturbateurs endocriniens ont plusieurs origines), associée à une composition d’images du quotidien autour de la femme enceinte, souriante et détendue. La menace est omniprésente.

Catalogue des effets à usage des décideurs

Cette frise chronologique présente les effets des perturbateurs endocriniens tout au long de la vie. Le document précise « l’augmentation des taux de maladies que nous voyons aujourd’hui pourrait être en partie attribuable à l’exposition de nos grands-parents aux perturbateurs endocriniens, et ces effets pourraient augmenter au cours de chaque génération à cause à la fois de la transmission de génération en génération d’une programmation modifiée et d’une exposition continue à travers les générations »*.

L’état des cartes : focus sur les bassins industriels

Concentrations de perturbateurs endocriniens chimiques

L’Amérique du Nord, l’Europe du Nord et la Chine ressortent nettement sur ces deux cartes.
La première concerne le sulfonate de perfluorooctane (PFOS en anglais). L’INERIS précise que « Les textiles, les vêtements, les meubles, les tapis et les cuirs sont des sources de PFOS. Cette substance était en effet employée dans ces articles pour ses propriétés antitaches et hydrofuges. Le PFOS est également présent dans les mousses extinctrices, l’industrie photographique, la photolithographie, les semi-conducteurs, les photo-résines, les fluides hydrauliques et le traitement de surface des métaux en raison de ses propriétés tensio-actives (OSPAR, 2005 ; Santé Canada, 2007). »
La seconde carte concerne le decabromodiphenylether, dont l’INERIS indique qu’il est « un dérivé bromé utilisé comme retardateur de flamme dans les appareils électriques et électroniques et les textiles ».
Le rapport montre très peu de cartes, souligne le besoin de multiplier les études, mais la liste des perturbateurs endocriniens est longue de cinq pages (p. 253-257). « Nous devons mener d’urgence davantage de recherches afin de mieux connaître les conséquences sanitaires et environnementales des perturbateurs endocriniens », précise Maria Neira, directeur du Département Santé publique et environnement de l’OMS.

La Chine surenchérit (février 2013)

Quelques jours après la sortie de cette étude du PNUE et de l’OMS (présentée comme la plus complète jamais publiée) et dans un contexte de médiatisation de la pollution atmosphérique en Chine, les « villages du cancer » font le buzz. La carte mise en ligne en 2009 par le journaliste Deng Fei est reprise par les médias qui notent une situation nouvelle : le gouvernement chinois ne minimise pas la situation, mais l’amplifie. Le Figaro indique : « Le ministère chinois de l’Environnement a publié, pour la première fois, la liste de “villages du cancer”, des bourgs où le niveau de pollution est tel que la proportion de personnes atteintes de cancer franchit des niveaux alarmants. La Chine compterait, selon les chiffres désormais officiels, plus de 400 de ces villages à la sinistre réputation, contre une centaine recensés jusqu’ici par les écologistes. »

L’Europe à l’heure de Reach (mai 2013)

En Europe, les fabricants et importateurs de plus de 100 et de moins de 1000 tonnes par an doivent déposer un dossier d’enregistrement auprès de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) avant le 31 mai 2013. Le respect de l’échéance est obligatoire pour pouvoir continuer à fabriquer, importer et mettre sur le marché après cette date. La procédure concerne les substances dites « très préoccupantes » : substances CMR (cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction), PBT (persistantes, bioaccumulables et toxiques) ou perturbateurs endocriniens. Voilà pour les éléments les plus compréhensibles. Pour le reste, le langage qui entoure Reach n’utilise pas d’image simplificatrice, les documents communautaires, rarement traduits de l’anglais, sont réservés aux experts.
On trouvera sur Euractiv un dossier compréhensible, qui éclaire également le sujet des perturbateurs endocriniens et des différents intérêts concernés – États, industriels et ONG. L’enjeu de santé lié au diabète (10% des dépenses de l’assurance maladie en Europe) y est également souligné.
Ajoutons que le lancement de Reach avait suscité l’opposition des États-Unis et de la Chine. Les premiers menacèrent l’Europe d’un procès devant l’OMC et préparent désormais un « Safe Chemical Act » qui s’en inspire. Les seconds se sont plus vite alignés sur le système européen pour mettre en place un « Reach chinois » dès octobre 2010. Nous voilà dans une course à la norme…

Tout le monde est concerné… sauf ceux qui ne le sont pas… (2004-)

Carte de la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants

Certes limitée à nombre très réduit de polluants, surnommés les douze vilains (1) auxquels s’ajoute le DDT, la Convention de Stockholm entrée en vigueur en 2004 montre que même l’interdiction de douze poisons reconnus par tous ne fait pas l’unanimité. La tendance est cependant à une marginalisation des États-Unis : l’Arabie saoudite est partie à la Convention depuis le 23 octobre 2012, l’Afghanistan le sera fin mai. Le camp des réticents, emmené par les États-Unis, tend à se réduire. La posture italienne est tout à fait curieuse pour un membre-fondateur de l’Union européenne.

La connaissance avance, l’information se partage et les enjeux de santé soulignés par le PNUE et l’OMS n’écartent aucun espace de la planète. La crise non plus, certes, mais si les autorités chinoises se saisissent du bien-être des futures générations de Chinois, la mise aux normes pourrait bien prendre une nouvelle tournure.

Sophie Clairet

* Cette traduction n’est pas une traduction officielle des Nations Unies.

Notes :

(1) Aldrine, chlordane, dieldrine, endrine, heptachlore, hexachlorobenzène, mirex, toxaphène et polychloro-biphényles.

Pour aller plus loin :
– Site de l’UNEP : https://www.unep.org/explore-topics/chemicals-waste
– Site de l’OMS : https://www.who.int/ (préciser endocrine dans la barre de recherche)

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