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Territoire, identité… Dix ans plus tard, l’embrasement ?

Aujourd’hui, la Bretagne se révolte, demain peut être d’autres régions ? La presse bruisse d’alertes lancées par la sous-direction de l’information générale de Rennes sur un risque de fronde explosive, et d’embrasement à d’autres régions comme « l’Alsace, le Pays basque et même la région niçoise »
Arrêtons les fausses surprises : ce « surgissement » de l’identité et du territoire en politique constitue l’un des symptômes les plus prévisibles de notre époque, en voici quelques-uns des ingrédients.

« Il faut se souvenir de l’avenir » (Louis Aragon)

Cette expression ouvrait en 1999 l’ouvrage dédié à l’aménagement de la France pour 2020. Sous la direction de Jean-Louis Guigou, la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR) ancrait sa réflexion dans le spectre théorique des cycles de Kondratiev : « 2020, ce pourrait être l’apogée d’un cinquième cycle de Kondratiev (2000-2040), sachant que les grandes réformes ne se font toujours qu’en début de phase d’expansion ou de récession. En France, cela représente la durée de trois générations de contrats de plan. » (1)
Dans ce contexte globalement optimiste (2) sur le plan économique, les aménageurs alertaient sur quatre risques territoriaux :

Risque

La DATAR prévoyait quatre scénarios pour la France, « L’archipel éclaté », « Le local différencié », « Le centralisme rénové » et « Le polycentrisme maillé ».

Identité, approche psychosociologique

Les aménageurs intégraient alors les dimensions psychosociologiques du « territoire » – en les projetant dans une phase de crise de valeur, mais d’expansion économique (cycle 5 de Kondratiev) et non de crise de valeur et de crise mondiale. En voici une formulation : « Le risque de la survalorisation du territoire, opposée à la dévalorisation des idéologies se fait jour. La “fin des idéologies”, ou tout au moins, l’apaisement des tensions socio-politiques valorisent d’autres appartenances, notamment territoriales, tout en faisant surgir d’autres formes de tensions, elles aussi ancrées spatialement. Une formule permet de résumer cela : “Si parfois on ne sait plus dire qui l’on est, on sait par contre toujours dire d’où l’on est”. Les conflits (et les espoirs) se focalisent sur la question de l’espace : les citadins rêvent de village et de nature, les habitants isolés demandent les connexions et les atouts de la ville. La question territoriale locale devient un enjeu identitaire, existentiel. » (3).
À la même époque, il y a dix ans, l’identité faisait les bonnes heures de la géographie sociale, à travers les paysages perçus et autres cartographies mentales.

Identité, ostracisme politique et risque géopolitique

Dix ans après cet exercice prospectif français, on voit chez nos voisins que Barcelone « ne veut plus payer pour le reste de l’Espagne » et la radicalisation du mouvement autonomique catalan pèse sans doute dans la balance médiatique actuelle. L’ancrage territorial constitue un ferment politique et géopolitique qui dépasse largement le carcan psychosociologique : il faut le penser sans a priori ni ostracisme. Or, en France, le terme « identité » ne se relève pas de ses heures maurrassiennes : on parle d’identité régionale comme d’un risque dans les centres d’analyse géopolitique volontiers qualifiés de « jacobins », tandis qu’ailleurs quelques monographies régionales chantent les beautés des paysages locaux. Qui cela sert-il ? Les plus fervents identitaires et les plus jacobins, les amateurs de bonnets rouges et les médias.

Intérêt pour geosophie

Nous voilà dans le champ des paysages géopolitiques, des représentations, des rapports de force et autres ingrédients de base de geosophie. Qui plus est, ce surgissement des symboles et des identités en Bretagne interroge le sujet de la thèse que j’ai conduite entre 1996 et 2000 sur un espace transnational de contact Nord-Sud – de l’Andalousie à la Sicile.

Sophie Clairet

Image du haut : Accueil de la page Facebook de « la révolte bretonne 2013-2014 ».

Notes

(1) DATAR, Aménager la France de 2020, p. 8, http://www.datar.gouv.fr/amenager-la-france-de-2020-mettre-les-territoires-en-mouvement-2002).
(2) Optimiste : ce que l’on peut constater 10 ans plus tard en tous les cas et que Hugues de Jouvenel soulignait déjà en mars 2001 lorsqu’il montrait son désaccord avec le postulat. Voir le compte rendu de la table-ronde ici : http://www.futuribles.com
(3) DATAR, Ibid, p. 56

Pour aller plus loin sur l’instrumentalisation des ancrages identitaires

– Clairet, S. Paysage, identité régionale : les représentations télévisuelles des territoires dans l’arc méditerranéen, thèse de doctorat, Aix-en-Provence, Université de Provence, 2000, 325 p., 35 figures, 20 tableaux.
Voir le résumé sur le site d’Armand Colin :
http://www.armand-colin.com/revues_article_info.php?idr=6&idnum=289184&idart=2530
– Clairet, S. Représentations de paysages et renforcement identitaire en Provence-Alpes Côte d’Azur, Aix-en-Provence, Université de Provence, mémoire de D.E.A. juin 1996, 115 p.

2 réponses sur « Territoire, identité… Dix ans plus tard, l’embrasement ? »

On peut aussi réfléchir sur les « maillages de l’apolitique ». Je ne sais pas comment formuler ce qui vient de me parler à travers le post que je viens de mettre en ligne (https://geosophie.eu/2013/11/22/oublies-de-nos-campagnes-la-diagonale-du-vide-en-images/). Comme si à côté des découpages qui n’ont d’intérêt que pour les politiques (PACA par ex, ça parle à qui ??? :)), il en existait d’autres de revendication (par exemple les banlieues à travers un nouveau parti) et d’autres sans qualité politique (je pense à cette diagonale du vide où les gens sont isolés et éparpillés).

Agréable de suivre les idées qui structurent la géosophie au travers de sujets abordés dont la pertinence n’est plus à démontrer. La prospective meuble aussi ce champ. Les mouvements actuels sont bigrement intégrés dans le contexte politique mais interrogent quant à la signification que peut prendre aujourd’hui une dimension régionale. Où se trouve le ferment régional? L’histoire éclaire les montages régionalistes et leurs dérives. Beau débat
Bravo pour le site

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