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Crise des migrants/réfugiés – Arrivées en Grèce et en Italie de 2015 à mars 2017

Carte du jour, 18 avril 2017. Droits : Commission européenne/ECHO. Carte disponible sur : http://erccportal.jrc.ec.europa.eu/Maps/Daily-maps

Voici la carte du jour mise en ligne le 18 avril par ECHO, service de la Commission européenne à l’aide humanitaire et à la protection civile. Elle associe deux catégories d’informations, des données de localisation et des données statistiques concernant deux grands systèmes de routes de migrants et de réfugiés vers l’Europe. On distingue clairement dans les chiffres que la route qui rejoint la Grèce depuis la Turquie s’est fermée tandis que celle via la Libye vers l’Italie est en plein essor. [Note au lecteur : attention toutefois aux figurés et aux couleurs, cette carte recèle quelques inversions entre les graphiques et les étiquettes.]
Quelques jours avant la publication de cette carte, le 13 avril, le Premier ministre libyen Fayez al-Sarraj accusait dans le quotidien allemand Bild l’Union européenne de ne pas tenir ses promesses tandis que les médias occidentaux relataient le commerce d’esclave organisé par les tribus libyennes et l’état déplorable des geôles libyennes.
Publiée dans un contexte d’enchères UE-Libye en marge d’un nouvel accord, cette carte propose bien d’autres niveaux d’informations : là où les routes n’existent pas se dressent des murs.

La Sublime Porte s’est fermée

Le système de routes drainant vers la Turquie puis la Grèce des migrants provenant d’Afghanistan et de Syrie est visuellement celui qui émerge compte tenu de la taille du rond bleu (attention par contre, la couleur du rond est contradictoire avec tous les autres chiffres de la carte) : plus de 800 000 migrants l’ont emprunté en 2015. En Turquie, la route se sépare à l’approche du littoral méditerranéen pour desservir la baie d’Edremit, Izmir au centre-est du pays et Antalya au sud-est. En amont de cette route, aucune jonction n’est représentée en Inde jusqu’au foyer du Bangladesh qui émet pour sa part vers l’Italie. Entre Inde et Turquie, cette route suit un tracé précis : pas d’itinéraire alternatif, mais pas d’interdiction de transit en Iran.
Les graphiques font état d’une réduction de 80% du nombre de migrants et réfugiés provenant d’Afghanistan, Syrie, Irak empruntant cette route à destination de la Grèce entre 2015 et 2016. En un an les entrées de migrants transitant par la Turquie puis la Grèce se sont taries : on peut en déduire que le plan global de réduction de la migration vers l’Europe contre une facilité de 6 milliards d’euros jusqu’à 2018 signé le 18 mars 2016 entre la Turquie et l’Union européenne a fonctionné.
Une autre de ses clauses a également porté ses fruits – sans se voir sur la carte – il s’agit de l’accord de libre-circulation des Turcs au sein de l’Union européenne depuis le 1er juillet 2016 alors même que les droits fondamentaux sont bafoués en Turquie. Le respect par la Turquie de l’état de Droit constituait jusqu’à la signature de ce plan global de réduction des migrations un préalable à toute autorisation accordée par l’UE aux Turcs de librement circuler sur son sol. La Sublime Porte s’est fermée, son efficacité à barrer la route aux réfugiés et migrants, notamment ceux chassés par des guerres où sont engagées des troupes de l’OTAN, importe-t-elle davantage à l’UE que ses propres fondamentaux démocratiques ? L’Allemagne se trouve confrontée directement au sujet : sa communauté turque forte de 3 millions de personnes a accepté à 63% d’élargir les pouvoirs accordés au président turc lors du référendum du 16 avril 2017.

Le golfe de Syrte est ouvert

A travers l’Afrique et orienté vers l’Italie, l’autre système de routes est constitué de deux axes convergeant vers la Libye depuis l’Afrique noire, du Nigéria à l’ouest et d’Erythrée à l’est. La plupart des hubs de la péninsule arabique où convergent des migrants asiatiques, sont reliés à ces routes. Ainsi, les migrants issus du Bangladesh ne se dirigent pas vers la Grèce via l’Inde mais vers l’Italie via notamment l’Arabie saoudite qui abrite la première diaspora bangladaise au monde. Une publication de l’Office international des migrations détaille ainsi le trajet des Bangladais : un achat de visa de travail entre 3 000 et 10 000 dollars pour un trajet vers la Libye – avec ou non un transit par Istanbul – avant de tenter la traversée vers les Pouilles ou la Sicile.
Ce système de route migratoire passant par la Libye vers l’Italie étant de plus en plus emprunté, le sommet de l’Union européenne réuni à Malte en février 2017 a prévu de soutenir l’accord signé entre l’Italie et la Libye – et soutenu par l’ONU – de mettre en place le même type d’accord avec la Libye qu’avec la Turquie. La somme annoncée pour aider la Libye serait bien plus faible, 400 millions d’euros contre 6 milliards pour la Turquie. Le contrôle de cette route avait déjà fait l’objet de discussions entre l’Italie et la Libye en 2000, puis d’un accord entre l’Italie et la Libye en 2008 moyennant finances (au titre du préjudice de la colonisation), accord renouvelé en 2012 puis à nouveau en février 2017.  Les premiers accords ont été lancés en 2000 avec le guide libyen qui contrôlait l’ensemble du territoire. Kadhafi, profitant de sa situation de « verrou » aux routes de migrants vers l’Europe, exigeait de l’Union européenne une aide de 5 milliards d’euros peu avant sa mort. La situation a bien changé et la déstabilisation de l’État libyen n’offre pas le même contexte de négociation. Et le général Haftar, qui contrôle l’est du pays, est soutenu par la Russie.
D’autres freins sont apparus pour la réalisation de cet accord, notamment la question des droits de l’Homme. Est-ce dû aux craintes que suscite désormais la Turquie dans ses dérives autoritaires ? A celles que peut susciter la rencontre des deux hommes forts de Libye – Sarraj et Haftar – le 2 mai à Abu-Dhabi sans les bons offices de l’Europe ? Toujours est-il que le 2 mai 2017, dans un contexte médiatique occidental pointant les dérives esclavagistes des tribus libyennes, le ministre allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel a déclaré au siège de l’Union africaine le désaccord de l’Allemagne et de l’Union européenne à l’établissement de camps en Libye pour accueillir les migrants souhaitant se rendre en Europe.

Murs de « milices » à l’est de l’Europe

La carte est également riche d’enseignements sur les États qui ne participent pas aux systèmes de transit de migrants.
Point de tracé entre les côtes de la mer Noire, vers d’autres destinations que pourraient constituer la Bulgarie ou la Roumanie, ni vers la Russie ou l’Ukraine. L’arrivée de migrants en provenance des républiques d’Asie centrale se fait par la Turquie et non par la Russie.
Le système d’information cartographique de l’IOM apporte un complément à la carte de la Commission européenne :

Carte des routes de transit disponible sur le système d’information cartographique de l’IOM à l’adresse : http://migration.iom.int/europe/

Cette carte proposée par l’IOM permet de visualiser la situation des membres du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie) à l’égard des axes de migrations : seule la Hongrie est concernée. Entre Pologne et Slovaquie, ni flux de migrants, ni acceptation des quotas prévus par l’Union européenne pour répartir l’effort d’accueil entre tous ses membres. Pour sa part, après avoir érigé des lignes de barbelés aux frontières avec la Serbie, la Hongrie a voté début mars une loi prévoyant de placer systématiquement en centre de détention tout migrant le temps que sa situation soit examinée. Cette loi, parce qu’elle est systématique, va à l’encontre des conventions internationales. Pour autant, le 10 avril – soit quelques jours après l’entrée en vigueur de cette loi – le Haut-Commissariat aux Réfugiés a « exhorté l’Union européenne à suspendre ses envois de migrants vers la Hongrie ». Non seulement la Hongrie campe sur ses positions, compliquant une posture droit de l’hommiste que pourrait adopter l’Union européenne à l’égard de la Turquie, de la Libye, de la Russie… mais encore Bruxelles se trouve prié par l’ONU de contourner ses propres édits censés ventiler équitablement les migrants.
Dans ces confins orientaux de Schengen, il appartient surtout aux médias russes de proposer des reportages sur des milices qui s’armeraient pour « chasser les migrants ». Pour le moment, la presse occidentale se borne à évoquer celles qui sévissent en Bulgarie – hors de Schengen donc. Le quotidien suisse Le Temps a ainsi consacré un sujet à ces hommes « à l’accent russe » qui entre Turquie et Bulgarie recourent à une « méthode bulgare » pour traquer les migrants (« En Bulgarie, cette milice secrète à l’accent russe qui traque les migrants »).

Voici quelques clés de lectures et les questions sont plus nombreuses que les réponses. Assiste t-on au cerclage du cœur continental de l’Europe par un « collier de perles » de dictatures supposées le prémunir de tout afflux de migrants ? Nous voguerions vers une Europe cernée par des guérillas d’Ukraine, de Syrie et autres Libye, où sauront se perdre ceux qui rêvent de paix en tentant de la rejoindre ? Et qui plus est la voix des démocraties d’Italie, d’Espagne, de Grèce, autant de pays aux premières loges qui n’ont pu s’unir pour développer une politique méditerranéenne serait piétinée pour cause de difficultés à contenir la dette alors que les quatre de Visegrad agissent de concert pour contourner les règles en toute impunité ? Qu’est devenue dans ce concert de Cassandre l’ambition d’une politique méditerranéenne et africaine ? Pour finir, la carte du jour du 3 mai, publiée par la très belle revue de géopolitique italienne Limes illustre toute la distance que la politique française a creusée avec l’Italie qui subit aux premières loges la déstabilisation du Sahel.

« La guerre pour la guerre : l’hérédité a-stratégique de Hollande en Afrique », carte du 3 mai, Limes.

Sophie Clairet

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