Je n’étais jamais venue à Pau. Il y a tout juste quatre ans, je n’avais jamais non plus foulé le sol lorrain avant de poser les valises à Metz. Dans les deux cas, déménagement en quelques semaines, accélération du temps pour soudain boucler tous les dossiers, coupure rapide de toutes les habitudes, perte de tous les visages connus. À l’arrivée tout est nouveau, on se tait, on écoute, on observe, on apprend. On se sent très seul aussi, même si on l’a choisi et qu’on en sortira plus riche d’expérience. Il faudra tout reconstruire.
Avant que l’habitude s’installe, voici un recueil d’impressions subjectives, les premiers traits sur la page blanche qui resteront indélébiles. Ni analyse ni roman.
Le 25 octobre sera dévoilée la carte du Tour de France 2019. Un amusement populaire réservé aux autres. « Des heures et des heures de culture beauf à la télé ». Cette semaine, des villes vont apprendre qu’elles ne font pas partie des étapes du tour. « On s’en fout » diront certains. Moi, je ne m’en fous pas. Cette carte du tour, c’est celle du plus petit dénominateur commun des Français, chacun le saisira mieux en regardant cette vidéo.
En 2014, Pr. Herfried Münkler de l’université Humboldt propose « Die gefährliche Kluft zwischen Schein und Tun. Auf die Interessen kommt es an! » au titre de contribution au débat Review 2014. Außenpolitik Weiter Denken. Le ministère allemand des Affaires étrangères a posé cette question à une cinquantaine d’experts reconnus « Si quelque chose ne va pas avec la politique étrangère allemande, qu’est-ce que c’est ? Que faut-il changer ? ». Le professeur répond en détaillant les multiples dangers d’un écart entre les véritables orientations et ce qu’on en communique. Voici une libre traduction de sa contribution.
Remix politique par le YouTubeur Khaled Freak du discours sur la paix prononcé par Jean-Luc Mélenchon à Marseille le 9 avril 2017. Instrumental par Arome Production.
Le 23 novembre 2016, le Parlement européen a voté la « Résolution sur la communication stratégique de l’Union visant à contrer la propagande dirigée contre elle par des tiers ». Sur la base du rapport remis par l’eurodéputée conservatrice Anna Elżbieta Fotyga, ancienne ministre des Affaires étrangères de Pologne, cette résolution attire l’attention de la Commission européenne, des États membres et de l’OTAN sur les propagandes venues de Russie et de l’EIIL/Daech (dans cet ordre de présentation).
Dans le texte : le Parlement européen « 1. souligne que la propagande hostile contre l’Union européenne prend diverses formes et utilise divers outils, souvent conçus de façon à correspondre au profil des États membres, dans le but de déformer la vérité, d’instiller le doute, de diviser les États membres, d’entraîner un découplage stratégique entre l’Union européenne et ses partenaires d’Amérique du Nord, de paralyser le processus décisionnel, de discréditer les institutions de l’Union et les partenariats transatlantiques – dont le rôle dans l’architecture de sécurité et économique européenne est reconnu – aux yeux et dans l’esprit des citoyens de l’Union et des pays voisins, et de saper le discours politique européen fondé sur des valeurs démocratiques, les droits de l’homme et l’état de droit ; rappelle que l’un des principaux outils utilisés est l’incitation à la peur et à l’incertitude chez les citoyens de l’Union, ainsi que l’exagération de la puissance des acteurs étatiques et non étatiques hostiles; fait remarquer que d’autres régimes autoritaires dans le monde utilisent des stratégies semblables à celles élaborées par le Kremlin; ».
Après quinze année marquées par les images d’une « guerre contre le terrorisme » qui poussa sur les ruines du World Trade Center, l’Europe entend se protéger contre de nouvelles images. Les premières venaient de CNN et d’Hollywood – pour schématiser – les nouvelles sont portées aussi par YouTube et consorts.
Top 10 des chaînes YouTube
Le premier graphique donne une idée du profil des diffusions de masse : musique, programmes pour enfant, programmes trash. Certaines de ces chaînes ont ouvert des filiales, diversifié leurs langues et adapté leurs contenus aux cibles. D’ailleurs le 29 novembre 2016, France Inter invitait la rédactrice en chef de BuzzFeedFrance pour promouvoir « un virage d’enquête et d’info ».
Si l’on rapporte le nombre de vues à la population du pays d’origine des chaînes YouTube, le classement se trouve substantiellement modifié. Les Pays-Bas et leurs quelques 16 millions d’habitants sont capables de faire la chaîne Spinnin’Records qui engrange plus de 9,3 milliards de vues sur des vidéos musicales qu’elle produit (par exemple Martin Garrix à ses débuts). Sur ce type de graphique, les Russes performent davantage que des Américains qui maîtrisent pourtant les tubes et le véhicule principal, l’anglais. Get Movies et Mashamedvedtv doivent leur classement au dessin animé Masha et Michka. Le 17e épisode diffusé en janvier 2012 sur la première a été visionné plus d’1,8 milliard de fois (en date du 29/11/2016), si bien que la seconde porte la diffusion des épisodes en HD depuis 2013.
Compte tenu de la résolution du Parlement européen
> Est-ce que Spinnin’Records va agrémenter ses vidéos musicales d’images d’une Europe unie et indépendante de stratégies étrangères ? Autrement dit est-ce que l’Europe peut prendre conscience qu’elle abrite des capacités d’influence avérées – et se placer dans une logique proactive.
> Est-ce que la petite fille et l’ours du dessin animé russe Masha et Michka seront interdits ? Autrement dit est-ce que l’Europe entend répondre à la propagande en tuant des ours – et se placer dans une logique de censure et d’embargo.
> In fine qui va agir pour l’Europe, et l’Europe, c’est qui ?
Bons baisers d’Europe, Madagascar 3. Notes prises au cinéma en juillet 2012
« Les enfants dans la salle n’ont pas tellement rigolé, les parents non plus, à part à deux ou trois reprises, rien à voir avec une explosion de rires. Je n’ai pas ri, certes, je prenais des notes et du coup je ne suis pas rentrée à fond dans les images. C’est un vrai festival, le tigre russe antipathique qui apparait chaque fois avec les chœurs de l’armée rouge, incapable de sortir des héritages du passés, la loutre italienne qui négocie avec le lion US et le tigre russe, la belle « léopard » (je ne sais pas si c’était un léopard) italienne qui les convainc de s’entendre et passe du Russe à l’Américain. Le cirque s’arrête à Rome poussiéreuse dans ses ruines où il rate tout, dans les Alpes suisses où tout repart, puis à Londres (il est écrit Europower sur la tente du chapiteau) où il « casse la baraque » et se fait repérer par un producteur US, avant de partir à NY. Au début, le chef c’est le tigre russe has been. Le numéro est nul, fait fuir tous les spectateurs à un point tel que le cirque s’enfuit en laissant l’argent de la recette (les singes africains envoient les billets en l’air). Numéro raté, musique d’avant le Déluge. A la fin, le lion américain est le boss reconnu par tous. La France, « ici on ne travaille que 15 jours par an » (dans la bouche des pingouins commandos US qui expliquent pourquoi à peine posés au sol, les singes africains s’enfuient dans la nature malgré le contrat signé qui leur demande de travailler). Tout ce que veut la méchante, c’est à dire la capitaine française Chantal Dubois, qui se transforme en araignée pour pister les gentils, c’est accrocher la tête du lion à son mur. « Elle est chtarbée », « la psychopathe nous rattrape ». Elle essaie de se mettre la police italienne dans sa poche en chantant du Piaf là ou le lion US remet tout en ordre avec un spectacle 3 D bluffant et de la musique carrément « fun ». Elle pleure des larmes noires de son maquillage qui coule, finit dans une caisse avec les policiers qui ont eu la bêtise de la suivre, expédiée depuis NY direction Madagascar pendant que le cirque européen/US/russe part à l’aventure sur une formule renouvelée où grâce au lion US, le tigre russe a retrouvé l’envie de vivre. Chantal Dubois n’est pas au niveau de l’attirail des pingouins US avec leurs armes super sophistiquées, elle n’a que la seringue hypodermique et sa méchanceté. »
Le 19 octobre 2016, EFFIE, le prestigieux Grand Prix de la campagne de communication la plus efficace a récompensé l’agence The Brooklyn Brothers & Íslenska pour Ask Guðmundur: World’s First Human Search Engine. Depuis le lancement début 2015 de cette campagne, sept Islandais répondant à l’un des prénoms les plus répandus du pays – Guðmundur ou Guðmunda, d’âges variés et localisés dans les régions d’Islande répondent directement aux questions des touristes étrangers (cible du marché en plus forte croissance en Islande). Quelle est la température de l’eau, y a t’il des forêts, peut-on venir avec des enfants, etc. Les vidéos réponse postées sur la chaîne YouTube dédiée font la part belle aux paysages sans fioriture, « les secrets » du pays sont à portée d’humain.
EFFIE récompense pour la deuxième fois la promotion de l’Islande. Déjà la marque Inspired by Iceland (la maison mère) avait reçu l’or en septembre 2011. Cette nouvelle couronne démontre que cinq ans après son lancement, Inspired by Iceland fonctionne effectivement comme un cadre de promotion concret de l’Islande. La campagne Barcelona Inspira lancée en 2015 puis la marque Inspire Metz dévoilée mi-octobre 2016 font comprendre que ce succès venu d’un petit territoire insulaire aux marges de l’Europe suscite l’envie. Pour autant il y a loin entre l’original et les copies, Inga Hlín Pálsdóttir, directrice Visit Iceland & Creative Industries rappelle :
« It’s important to understand that the country is the brand itself »
En effet, le territoire islandais nourrit l’image de promotion (branding, marketing…) et la leste d’une charge permettant de faire caisse de résonance à un projet politique. L’un de ses ingrédients, les débats portés par le tout jeune Piratar (Parti pirate) devenu la troisième force du pays hier aux élections législatives du 29 octobre 2016, constitue la filigrane d’Ask Guðmundur: World’s First Human Search Engine.
Efficacité
Le jury d’EFFIE estime que « grâce à leur approche humoristique et une solution créative fondée sur l’importance du savoir ancré dans le local et l’humain, ils ont généré la croissance la plus forte et la plus rapide que le secteur touristique islandais ait jamais réalisée ». Cette campagne de promotion se distingue dans les catégories de la meilleure démonstration d’efficacité intégrée, David vs. Goliath et Petit budget. Et de fait, le tourisme est devenu le principal pilier de la croissance économique de l’Islande, laquelle s’élève à 4% par an. Le nombre de touristes est en hausse de 20% par an et atteindrait 1,7 million en 2016 – soit plus de quatre fois le nombre total d’habitants. Les statistiques détaillées figurent dans les registres du FMI, de l’OMC, du Cia Factbook, etc.
Guðmonda du sud de l’île, une jeune femme en tenue de football en ces temps d’Euro2016, lui répond que parfois même les présidents ont besoin de Guðmundur, avant de faire rebondir le ballon et de laisser tomber son micro pour vaquer à d’autres occupations :
Au printemps, cet échange d’amabilités se déroule sur fond d’ascension du Parti pirate dans l’opinion publique islandaise. Ask Guðmundur n’a strictement rien à voir avec la promotion d’une activité touristique par l’esthétique, d’ailleurs les paysages jouent sur la rugosité du réel et non sur un univers onirique de mannequins filiformes. Bien davantage, elle arbore l’identité islandaise comme étendard de ralliement, c’est au tour du pays tout entier de faire « marque ».
L’élément d’une chaîne
Les observateurs politiques annoncent depuis plusieurs mois une avancée significative du Parti pirate islandais aux élections législatives du 29 octobre. Après avoir conquis en 2013 trois sièges d’un Parlement qui n’en compte que 63, le jeune parti créé en 2012 a notamment profité du scandale suscité par la révélation des Panama Papers en avril 2016. Le Premier ministre islandais Sigmundur David Gunnlaugsson avait été poussé à la démission par la descente dans la rue de 20 000 Islandais, tandis que Birgitta Jonsdottir, ancienne porte-parole de WikiLeaks, co-fondatrice du Piratar et député renforçait davantage sa position.
Le moteur de recherche d’informations humain Guðmundur n’est que l’élément d’une chaîne. Un an après l’avoir lancé, Inspired by Iceland s’est doté d’une Iceland Academy pour informer (ndlr) former les touristes désireux de visiter le pays. Voilà une logique imparable : après l’information, la formation par des gens du cru. Répondre correctement aux évaluations permet de gagner des écussons – finalement il s’agit de clés métaphoriques – puis un séjour garanti comme 100% hors des sentiers battus. Les visiteurs qui auront adopté la démarche initiatique se détourner de « Google », demander aux guides locaux, avoir l’humilité de se former, etc. en verront davantage. Voilà, l’île quasi-déserte battue par les vents s’accordera le luxe de sélectionner les touristes dignes de la visiter. Il le faudra bien car l’Islande, dépassée par le succès de ses campagnes de promotion, est saturée au sens propre et les lslandais disparaissent du paysage.
A l’autre extrémité du modèle, l’approche symétriquement inverse a démarré dans les nouvelles régions et métropoles françaises en plein essor. On prend l’habitude ici qu’une « marque de territoire » sans identité territoriale assumée, voire sans signification claire autre qu’une musique « qui sonne bien » et en appelle à la fierté d’en être, soit fièrement présentée comme solution pour faire émerger un territoire produit contre la concurrence. Quel est le projet politique à décoder dans les marques Onlyon, SoToulouse, Osez Bordeaux? Gagner en ostracisant une autre ville ?
Cette année, le collège de Titiswagg passe un cap. Comme il paraît qu’il faut se mettre au numérique, le professeur de technologie demande aux élèves de se créer un compte GMAIL pour travailler en classe. Titiswagg prononce ce mot avec une sorte de fierté, GMAIL c’est trop SWAGG !!! Bon, ses parents lui créent un compte « bidon » – juste pour qu’il puisse partager du Google.doc et un agenda avec son groupe de travail et son prof. Comment ce serait SWAGG d’avoir un mail sur la poste.net avec partage de doc… En même temps ils lui créent un compte chez leur fournisseur, celui là sera le sien personnel.
Déjà une usine à gaz… Combien de temps avant que Titiswagg se simplifie la vie et n’utilise plus que GMAIL ?
Comme il paraît qu’il faut fluidifier les communications, le nouveau CPE sort une adresse GMAIL pour qu’on lui adresse directement les absences. Cette fois, maman Titiswagg a le seum, et lève le doigt lors de la grande messe de rentrée pour lui demander « avez vous prévu d’utiliser votre plateforme numérique sécurisée – ENT administrée par Monsieur Atos, ndlr -, là où on trouve les devoirs et les bulletins scolaires, qui prévoit déjà un système de mail ? En fait tout est déjà en place, il faudrait que vous renseigniez le contact vie scolaire par exemple. Parce que c’est prévu pour, c’est sécurisé, on a des mots de passe qui réduisent le risque que quelqu’un envoie un mail à notre place, c’est hébergé en France. Pourquoi donc aller chez GMAIL et envoyer aux States les certificats médicaux de nos trolls ? ». La réponse du CPE, un peu gêné par la question, d’autant qu’il était vraiment très fier d’avoir trouvé une adresse GMAIL trop SWAGG : « Ben nan mais en fait, GMAIL c’est à l’essai, on verra au bout d’un an ». Et puis ajoute le chef d’établissement pour clore un débat imprévu « qui me prouve que ENT est plus sûr que GMAIL » ?
Maman Titiswagg a presque pu répondre – mais c’eût été fort malpoli, le sujet était passé à autre chose et les regards aussi : – … « le logo de votre ministère et des départements, après si vous me dites que je ne dois pas avoir confiance, bon alors ne mettez pas non plus les bulletins et rendez les impôts… » ; – « … demandez aux conservatoires de musique… leur système permet aussi d’envoyer des mails à des milliers de parents tout en se protégeant avec une adresse noreply… Et niveau citoyenneté, ce que vous faites, c’est un peu la honte par rapport aux pratiques des écoles du ministère de la culture… ».
Combien de temps avant que le collège se simplifie la vie et n’utilise plus que GMAIL ?
La chaîne de télévision Arte vient d’étoffer son dossier « Souriez, vous êtes cybersurveillés ! » par un documentaire de 89 minutes.
« … il me semble que la vraie question reste à être posée. Le mot sécurité est l’un des mots les plus importants dans le monde d’aujourd’hui et c’est aussi le moins bien défini. La définition du mot sécurité suscite beaucoup d’interrogations, en particulier quand on l’associe avec ce que l’on appelle la sécurité nationale. Qu’est ce que la sécurité nationale ? La sécurité nationale de qui ? Sommes nous en train d’essayer de protéger ou de conserver ? Je pense que ces questions sont fondamentales… »
(Extrait du documentaire d’Alexandre Valentin)