Chaque jour apporte son lot d’annonces immédiates et sans perspective, qui plus est sans aucune mesure des enjeux : manifestations et radicalisation en Grèce, tentations sécessionnistes en Espagne, avancée de la rigueur, des inégalités, de la peur du lendemain. Et alors ? Cette liste est devenue un talon d’Achille sur le plan diplomatique face aux États soucieux d’affirmer leur influence et leur puissance. Il est question de « basculement du monde » et c’est ce que démontre Images économiques du monde 2013, cartes et chiffres à l’appui. Factuel (pas de grande théorie verbeuse) et exhaustif (de l’économie à la géostratégie, changement d’échelles compris), cet ouvrage permet de comprendre ces enjeux qui dépassent le très court mot de « crise » et de stimuler la réflexion politique et citoyenne.
S.E.M. Rauf Engin Soysal, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, représentant permanent de la Turquie auprès du Conseil de l’Europe a tenu une conférence sur « La Turquie en tant qu’acteur du projet européen » au Festival International de Saint-Dié-des-Vosges.
Entretien avec Renata Salecl, philosophe et sociologue, chercheur à l’Institut de criminologie de Ljubljana et professeur invité à la London School of Economics, au Birkbeck College et au Kings College de Londres, ainsi qu’à la Benjamin N. Cardozo School of Law de New York. Renata Salecl a publié La tyrannie du choix chez Albin Michel en août 2012.
Il me semble que cette tyrannie du choix, qui fige nos sociétés, a un impact sur le profil des dirigeants que nous choisissons. Nous choisissons des gestionnaires rassurants bien plus que des leaders. Qu’en pensez-vous ? Comment sortir de l’anesthésie ? Avez-vous développé des éléments de prospective ?
Renata Salecl : Nos responsables politiques ressemblent énormément à des business managers de moyenne gamme. Ce sont souvent des personnages plutôt ennuyeux qui déclarent constamment qu’ils ne sont pas vraiment responsables, et que d’autres qu’eux font le spectacle. En parlant de ces « autres », ils renvoient en règle générale aux entreprises et aux institutions financières. Cependant la crise économique nous montre à quel point l’État est nécessaire pour la réguler et que l’idée que le marché puisse s’autoréguler a été une grande illusion. Mais je doute que cette idée fasse davantage son chemin — nous nous amusons bien davantage dans le processus de déni que dans tout ce qu’il faudrait changer sur le plan de l’organisation de la société. Le type de dirigeants populistes pragmatiques que nous avons aujourd’hui permet hélas que ce déni se poursuive.
En changeant d’échelle, il me semble que les États, sous le prisme d’une responsabilité mondiale démultipliée, se regardent non-agir et s’auto-flagellent de ne pouvoir apporter la paix aux Syriens (par exemple).
R.S. La non-action, c’est précisément ce qui semble se produire à différentes échelles. En matière d’écologie par exemple. En ce domaine, on ne fait rien, on répète toujours que d’autres doivent agir d’abord et qu’il est possible que nous agissions par la suite. Cependant, derrière cette non-action, il y a en réalité quantité d’actions — nous polluons, nous développons des technologies non-écologiques, consommons de manière non-écologique, nous parlons indéfiniment du besoin d’un développement sans limites, bien que ce soit très problématique sur le plan écologique, etc. Derrière la non-action dans des conflits politiques comme en Syrie, les actions cachées sont très nombreuses, les stratégies jouent, les alliances se font, les investissements sont protégés, etc. Les positions apparentes de passivité et de non-choix sont en fait pleines de « choix » – bien que ceux-ci ne se voient pas.
Dans cette configuration, le printemps arabe apparaît comme un curieux mélange, qui interroge la portée de la colère et la capacité de révolution. Avez-vous une grille de lecture de ces phénomènes ?
R.S. Le printemps arabe fut un événement d’une importance capitale, puisque depuis des décennies nous étions persuadés que les choses ne pourraient pas beaucoup changer dans cette région du monde. Les individus voulaient avoir le choix, ils se sont battus pour la liberté. Quant à savoir comment les choses vont évoluer, la question reste cependant ouverte. Il n’y a pas qu’une seule réponse. Les États où se sont déroulés ces « printemps arabes » passent par différents processus de consolidation d’un nouveau pouvoir. Dans la mesure où derrière les protestations contre les dirigeants totalitaires, il y avait aussi de la colère et de la rage contre la pauvreté, l’inégalité et l’exclusion, et où ces sujets impliquent une déception sur la façon dont le capitalisme fonctionne dans le monde actuel, on peut s’attendre à bien d’autres soulèvements à l’avenir. Sur la base de choix que nous faisons sur le plan politique, j’espère un changement pour le meilleur. Mais peut-être suis-je une incurable optimiste.
Entretien réalisé par Sophie Clairet, le 20 septembre 2012.
Présentation de l’ouvrage par l’éditeur
« Avec cet essai, traduit dans de nombreux pays, Renata Salecl nous invite à repenser ce qui a été hissé au rang d’idéologie dominante : la liberté que nous aurions de choisir dans tous les domaines (partenaire amoureux, profession, procréation, apparence, consommation, mode de vie…). Notre société moderne et individualiste nous fait croire que nous maîtrisons tous les aspects de notre vie, ce que nous voulons avoir, mais aussi ce que nous sommes ou voulons être. Il en résulte une frustration et un sentiment d’échec lorsque les choses nous échappent; dès lors, ce que nous prenons pour de la liberté devient une aliénation. Et ce sont finalement la surprise et l’imprévu qui attestent notre liberté… « Pour Renata Salecl, la plus invisible et insondable emprise résulte d’une injonction à être libre de toute emprise. Avec La tyrannie du choix, elle nous offre une sorte de manuel de survie par temps de détresse. » (Michel Schneider, préface) »
Son intérêt pour geosophie.eu
L’auteur nous offre un autre regard, celui d’un chercheur et d’un acteur non seulement étranger, mais issu d’un monde qui a basculé voici vingt ans – l’ex-Yougoslavie (1). Philosophe de formation, Renata Salecl a étudié Foucault sous la direction du philosophe marxiste Božidar Debenjak. À la fin des années 1980, elle s’est engagée dans l’opposition libérale de gauche au régime communiste slovène. Elle a activement participé aux profonds changements de la société slovène, s’est présentée en 1990 aux premières élections parlementaires démocratiques — battue, elle s’est par la suite retirée de tout parti politique.
Notes
(1) la Slovénie et la Croatie ont déclaré leur indépendance le 25 juin 1991.
« Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves. » Montesquieu, L’Esprit des lois (chapitre V, Livre XI), 1748.
Par Éric Grémont, président de l’OpesC.
Placer une note affublée d’un titre aussi convenu sous les auspices d’une maxime célèbre pour sa pertinente caustique laisse penser que l’on tente de s’abriter à l’avance du procès en facilité derrière l’autorité des anciens, le tout en s’accommodant sans regret du lot d’analogies douteuses que suscite de genre d’entreprise.
À la veille de l’annonce d’un calendrier électoral supposé faire sortir l’île de sa mise à l’index, alors qu’elle reste sous l’administration d’une Haute Autorité de Transition (HAT) présidée par Andry Rajoelina, l’île-continent défraie régulièrement la chronique internationale. Le scandale du bois de rose, le pillage des eaux territoriales, les méandres du déblocage du processus politique, l’octroi d’une aide européenne, la disparition des lémuriens, les promesses pétrolières, la mutinerie d’une caserne sont autant de faits qui soulignent la diversité et la complexité des problèmes qu’affrontent une population pauvre et un État embryonnaire.