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Baromètre des conflits 2013

L’Heidelberger Institut für Internationale Konfliktforschung (HIIK) vient de mettre en ligne le Baromètre des Conflits 2013, en anglais et en allemand. Comme dans les précédentes éditions, l’ensemble des conflits politiques est passé en revue, depuis  les crises non-violentes jusqu’aux guerres. Le Baromètre 2013 y ajoute des cartes des dynamiques des conflits pour le Nigéria, le Mexique, le Pakistan et l’Irak. Voici donc une petite présentation des principaux faits saillants.
Pour mieux comprendre comment s’organise la fabrication d’un tel baromètre et les sources utilisées, voici un petit entretien avec Laura Schelenz qui dirige le groupe de travail « Conflits dans les Amériques ».

Le Baromètre des conflits, méthodes et équipes (1)

Les Baromètres des conflits sont-ils comparables d’une année sur l’autre ? Au fil des années, avez-vous modifié les sources et méthodes et si c’est le cas en les pondérant pour que les Baromètres soient comparables ?
Laura Schelenz : L’HIIK fait tout son possible pour que les Baromètres de conflits puissent rester comparables. Malgré tout, les données sur les conflits étant révisées en permanence, même celles qui concernent les années passées, il est possible que des informations présentées dans la nouvelle édition diffèrent des précédentes. A cela il faut ajouter le changement d’approche de l’HIIK en 2011 suite à l’évolution de la Méthodologie d’Heidelberg. Pour augmenter la fiabilité des données, nous avons abandonné l’approche purement qualitative pour adopter un mixte d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs. On peut considérer que les Baromètres publiés depuis 2011 sont comparables, même si nous révisons sans cesse notre travail pour en expurger les lacunes précédentes. S’agissant des sources, nous nous référons aux principales agences internationales de presse comme le New-York Times et la BBC, ce qui nous permet de bénéficier en continu de leurs rapports qui sont de grande qualité. Il faut ajouter que l’avancée des agences spécialisées couvrant exclusivement telle ou telle région du monde, fournit à nos chercheurs la possibilité d’approfondir leurs connaissances et de suivre le développement des conflits en dehors des médias « grand public » (mainstream).

Quelle est la part de big-datas et de données issues de la presse ?

Laura Schelenz : La plupart du temps, nos chercheurs utilisent des sources ouvertes. Ces sources comprennent des médias grand public – dans certains cas nous les utilisons peu d’ailleurs – mais surtout des rapports d’experts locaux. Depuis que notre équipe se compose de chercheurs provenant d’une grande variété de pays, les textes du Baromètre des conflits reposent sur ​​des informations locales, dans la langue maternelle. En outre, de nombreux chercheurs qui ont travaillé à l’étranger entretiennent des relations avec des experts régionaux qui aident à évaluer les actions des conflits qui ne sont pas largement couverts. Enfin, nous utilisons des bases de données d’information et nous sommes toujours en contact avec d’autres instituts de recherche pour comparer nos résultats.

Le Baromètre s’oriente t-il vers une version prédictive ?

Laura Schelenz : Certaines tendances se répètent chaque année. C’est le cas, par exemple, des affrontements violents entre les cartels de la drogue ou les gangs et les gouvernements en Amérique latine ou des tensions actuelles entre différents groupes ethniques en Afrique sub-saharienne. Cependant, même s’il est possible d’identifier des tendances, on ne peut prédire la dynamique des conflits. Voilà pourquoi il est important d’examiner chaque acteur et chaque sujet de façon critique chaque année.

Sur l’équipe : quelle est la moyenne d’âge et le nombre de chercheurs ?

Laura Schelenz : L’HIIK compte environ 150 membres, y compris l’équipe de direction (les chefs des groupes de travail) et le conseil d’administration. Nos chercheurs sont des étudiants ou des doctorants, et des personnes travaillant dans des domaines voisins comme les agences allemandes de développement. Bien que je ne dispose pas de documentation à ce sujet, je dirais que la moyenne d’âge ne dépasse pas 30 ans.

Les tendances 2013 (2)

 

Les conflits violents en 2013 de l'HIIK. Carte à l'échelle infrarégionale issue du Baromètre des conflits 2013. Source et droits : HIIK.
Les conflits violents en 2013. Carte à l’échelle infrarégionale issue du Baromètre des conflits 2013. Source et droits : HIIK.

Le Baromètre des conflits 2013 dénombre 414 conflits politiques (contre 396 en 2012), 45 sont très violents (43 en 2012) – dont 20 guerres (18 en 2012). Avec 11 guerres (une première pour un tel score dans la région), l’Afrique subsaharienne arrive en tête des conflits très violents. Simon Ellerbrock, chef du groupe de travail « Conflits en Afrique subsaharienne » précise que « l’énorme hausse du nombre de conflits très violents est due en partie à l’amélioration en permanence de la qualité des données disponibles ». Le Soudan et le Soudan du Sud comptent à eux seuls cinq guerres. » En Décembre, une nouvelle guerre a éclaté entre les partisans du Président du Soudan du Sud Salva Kiir et son ancien vice-Président Riek Machar – faisant des milliers de morts. Dans la République de Centrafrique voisine, un pouvoir de transition s’est installé après la chute de Bangui aux mains des Séléka. Les opérations militaires menées conjointement par le gouvernement de la République démocratique du Congo et les brigades d’intervention de l’ONU ont abouti à un affaiblissement significatif des rebelles du M23. Au Mali, le gouvernement a réussi à reprendre le contrôle de grandes villes dans le nord du pays avec l’aide des troupes françaises, bien que des batailles aient continué contre des groupes islamistes nouvellement constitués. La guerre en Somalie a conservé le même niveau de conflit très violent, comme le Nigeria. Dans les Amériques, la violence a continué entre l’État mexicain et différents cartels de la drogue. En outre, des centaines de groupes d’autodéfense se sont formés dans le sud-ouest du pays, en lutte contre les cartels de la drogue et le gouvernement. (En regardant la carte de 2012, on note cependant un éloignement des violences par rapport à la frontière des États-Unis, ndlr). Pour la première fois depuis 2010, la Baromètre n’enregistre pas de conflit interétatique très violent, le conflit entre le Soudan et le Soudan du Sud étant plutôt en désescalade. Néanmoins, onze crises interétatiques violentes sont relevées, comme entre la Syrie et Israël ou les escarmouches en forte hausse le long de la frontière indo-pakistanaise.

Dynamiques de conflits au Nigéria (Boko-Haram) en 2013. Sources et droits : HIIK.
Dynamiques de conflits au Nigéria (Boko Haram) en 2013. Sources et droits : HIIK.

Voici l’évolution au fil de l’année des dynamiques du conflit entre Boko Haram et le gouvernement nigérian, un conflit qui dure depuis 2005. Les affrontements entre le groupe islamiste Boko Haram et le gouvernement, principalement observés dans les régions du nord-est du pays, ont fait plus de 1 200 morts pour la seule seconde moitié de l’année seulement.

En guise de conclusion, ajoutons qu’il est important de se référer aux sujets sur le Baromètre mis en ligne sur Geosophie l’an passé pour comprendre la méthodologie dans le détail et visualiser les cartes de 2011 et 2012. Il est difficile de présenter sur ce blog toute la richesse de ce baromètre, d’où l’intérêt de le charger en ligne sur le site de l’HIIK. Enfin, j’insisterai sur toute la richesse humaine d’une telle entreprise qui se joue sur des années (depuis 1945) : de jeunes chercheurs associés concrètement à l’élaboration d’un outil en évolution permanente pour analyser les conflits, à partir d’une large palette de sources – médias de tous types, chercheurs de terrain, agence de développement… Voilà un bel exemple de capitalisation intelligente de l’information qui traverse les chapelles et les générations et dote l’Allemagne d’une véritable expertise.

Sophie Clairet

Notes :

(1) Propos recueillis et traduits par Sophie Clairet.
(2) Principales conclusions du Baromètre des Conflits 2013 issues du Baromètre et du communiqué de presse.

Pour aller plus loin

– Site de l’HIIK

 

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Regard sur « Le nouveau capitalisme criminel » de Jean-François Gayraud

Dans Le nouveau capitalisme criminel*, la « crise » qui nous occupe depuis 2008 est un indice, le crime en cours est la substitution d’une oligarchie financière aux systèmes démocratiques. Les armes utilisées : des machines alliant trading haute fréquence (qu’il soit réellement utilisé ou présenté comme parade à la petite semaine pour masquer des actions humaines) et logiciels dévoyés. La scène a son centre névralgique, là où se concentrent serveurs géants et places financières, ainsi que ses centres secondaires, les zones grises du narcotrafic.

J’ose espérer que Jean-François Gayraud passera sur le manque de nuances dans ce très bref panorama, il est difficile de détailler sans réécrire tout l’ouvrage car tout se tient parfaitement. Quelques données parlent d’elles-mêmes :

« en 1976, 1% des Américains les plus riches captent 8,9% de la richesse nationale, en 2007, à la veille de la crise, ce 1% en monopolise 23,5% » (Le nouveau capitalisme criminel, p. 301).

Après en avoir refermé les 303 pages (hors notes), c’est ainsi que m’apparaît d’abord son ouvrage : une enquête qui nous concerne tous, quelle que soit la complexité de la démonstration technique. Les méandres de l’enquête sont à la mesure des voies tortueuses retenues par les fraudeurs et de leur démultiplication selon leur degré d’organisation et leur capacité à corrompre les systèmes – économique et politique. La véritable victime est ce citoyen ordinaire, comme vous et moi, dont le paysage d’action s’inscrit dans l’économie du réel et qui vote en espérant donner mandat à des représentants en capacité d’agir. On aimerait que l’Europe suive Ewald Nowotny, gouverneur de la Banque centrale d’Autriche et membre de la BCE : « En ce qui concerne le trading haute fréquence, il n’y a rien à règlementer, il faut interdire », Jean-François Gayraud expliquant

« Son argument est limpide, nourri par l’expérience : les financiers trouvent toujours des échappatoires dans toutes les règlementations » (op. cit., p. 260).

Encore faudrait-il que la presse nous alerte davantage sur ces sujets éminemment politiques, qu’elle questionne efficacement nos élus. Le lecteur de l’ouvrage se demandera logiquement comment se fait-il qu’il n’y ait aucun scandale ?

« L’aristocratie financière aux commandes est servie à la fois par une classe politique aux ordres constituée de débiteurs et par un nouveau clergé non plus catholique mais médiatique, disant le bien et le mal et lui conférant sa légitimité » (op. cit., p. 285).

Où en est-on de la crise ? Le système va t-il lâcher ou se reprendre ? Vers où va t-on ? Voilà des questions que se posent bon nombre de personnes. Sans tomber dans la théorie du complot, simplement en décrivant des faits et en les replaçant en perspective, cet ouvrage est éclairant. Sur le plan géopolitique il permet une cartographie des acteurs. Sur le plan géographique, il fait émerger de nouveaux lieux au-delà des clichés, la bourse de Paris à Basildon près de Londres ou le NYSE à Mahwah – de gros serveurs aux débouchés de gros câbles.

Sophie Clairet

Référence

Jean-François Gayraud, Le nouveau capitalisme criminel, Préface de Paul Jorion, Paris, Odile Jacob, février 2014, 368 p.

Pour aller plus loin

Interview de Jean-François Gayraud sur Xerfi Canal :
Jean-François Gayraud, Xerfi Canal Le… par GroupeXerfi

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La France – Les mutations du système productif

Comment la France a basculé en une trentaine d’années, d’un pays de production à un pays de périproduction – autrement dit de services sans relation directe avec la production de richesses ? Dans son ouvrage, La France, les mutations du système productif, Laurent Carroué en donne une illustration à travers le concept de système productif. Voilà une nouvelle dimension – fonctionnelle – et non plus seulement sectorielle de l’économie et de l’industrie qui permet de mieux articuler économie, sociétés, territoires en mettant l’accent sur le rôle des villes et de la hiérarchie urbaine, le poids de Paris, la notion de France autonome… Présenté il y a plus de vingt ans, un peu perdu de vue par les géographes, le concept de système productif est repris par d’autres dont l’INSEE. Cette belle rupture épistémologique compose également une boite à outils pour comprendre la crise actuelle et ses dynamiques spatiales. D’ailleurs, les jurys des agrégations ont choisi pour 2014 d’en faire un nouveau sujet. L’ouvrage de Laurent Carroué s’adresse d’abord à un public de géographes préparant le concours de recrutement des enseignants de lycée, mais ses apports dépassent ce seul cadre.

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République centrafricaine, curiosités géoéconomiques en cartes

Carte des gîtes miniers de RCA publiée par IPIS en 2012
Les gîtes minéraux de RCA, carte du rapport sur les richesses minières (février 2013). Depuis le 23 mai, la RCA est suspendue du processus de Kimberley et « ne peut pas » exporter ses diamants – une interdiction renouvelée fin novembre 2013.

Qui sont les principaux clients et fournisseurs de la République centrafricaine ? Suffit-il de consulter les statistiques officielles pour en obtenir un aperçu ? La question est plus complexe et riche qu’il n’y paraît : illustration en cartes.

Où les principaux ports européens apparaissent comme des clients et des fournisseurs – Anvers (Belgique) étant par ailleurs la première bourse mondiale du diamant.

Centrafrique-CIA

Où les pays de transit vers les grands ports africains (soit Cameroun et RDC) apparaissent également comme partenaires importateurs.

Centrafrique-OMC-2

Dans le tableau relatif aux destinations et origines principales des marchandises, l’OMC privilégierait plutôt le Japon à la Chine et le Cameroun à la RDC.

Toutes ces données sont justes et fausses pour dresser le panorama des principaux partenaires commerciaux. Tout dépend de ce que l’on veut montrer. Une fois le but choisi (« la Chine chasse tout le monde en Afrique » ou « les échanges régionaux inter-africains se portent bien »), il reste à piocher dans les piles de chiffres. Les données de l’OMC me semblent à titre tout à fait personnel davantage cohérentes entre elles (soit on prend tous les pays de transit soit on les écarte tous).

Sophie Clairet

Cliché du haut : Cliché d’Amnesty international montrant de jeunes garçons dans des mines de diamants.

Pour aller plus loin

Ken Matthysen & Iain Clarkson, Gold and diamonds in the Central African Republic. The country’s mining sector, and related social, economic and environmental issues, IPIS, février 2013, 36 p.
– OMC, Commerce total de marchandises, octobre 2013.
– OMC, République centrafricaine, septembre 2013.
– Roger Brunet, Le Diamant: un monde en révolution, Paris, Belin, 2003, 416 p. (l’ouvrage est certes ancien mais les clés de lecture restent intéressantes). Du même auteur et sur les circuits du diamant, voir Aspects de la mondialisation, la révolution du diamant in Mappemonde.

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Echanges mondiaux : la carte des bouts du monde de la lenteur

Une semaine de retard dans les expéditions réduirait le volume des exportations de 7 % (jusqu’à 26 % dans certains cas) ou augmenterait de 16 % le prix livré des marchandises (1). Relayant ce constat, l’OMC propose une carte du temps nécessaire pour l’exportation de marchandises. Voilà une nouvelle manière d’approcher les « bouts du monde », sous l’angle de la lenteur et non de l’étendue.

Temps-OMC

Lien vers le Rapport sur le commerce mondial 2013, site de l’OMC

Remarques

Cette carte mériterait une déformation par anamorphose afin de réduire l’effet de masse – sauf à prouver que dans les États très grands, le temps de production est identique en tous points. Toutes choses étant égales par ailleurs (les marchandises exportées n’étant pas les mêmes depuis la Chine ou l’Afrique), il est intéressant de voir que l’espace de production africain, y compris le Sahara, s’en tire mieux en vitesse que la Chine ou la Russie. Tout aussi étonnant à travers cette représentation, le Nigéria, champion de la croissance africaine dans d’autres publications (Banque mondiale notamment), et ses voisins du littoral s’en tirent moins bien ou pas mieux que l’Afrique enclavée. Il faut remonter jusqu’au Sénégal et au Maroc pour trouver les champions de la rapidité sur ce continent. La causalité de l’enclavement géographique prend davantage de sens en Amérique du Sud mais ne joue en rien par contre s’agissant de l’Italie ou de la Grèce (voir sur la carte infra où les principales routes maritimes ont été ajoutées).

Temps-OMC_2

Il ne faudrait pas sur-interpréter cette carte en transformant les champions de la vitesse en systèmes performants (certains n’exportent peut être pas grand chose) et ceux de la lenteur en systèmes dépassés (ils croulent peut être sous les commandes). Ajoutons donc la carte des échanges mondiaux pour équilibrer le sujet.

Parts-OMC

L’OMC indique à propos de ces cartes : « Ce qui saute immédiatement aux yeux en regardant la carte des flux commerciaux, c’est la place centrale de l’Asie dans le commerce interrégional. Les trois plus importantes relations bilatérales dans le commerce mondial en 2011 étaient les relations entre l’Asie et l’Europe (8,8 % du commerce mondial en 2011), entre l’Asie et l’Amérique du Nord (7,8 % du commerce mondial) et entre l’Asie et le Moyen‑Orient (5,1 % du commerce mondial). »

On peut se demander quelle serait cette centralité de l’Asie, si les expéditions n’étaient pas frappées de lenteur et si cette lenteur est l’une des conséquences de la centralité (les limites du systèmes sont en vue ?).

Sophie Clairet

Image du haut : Cliché par Robert Thomson sur Flickr

Notes

(1) OMC, Rapport sur le commerce mondial 2013, p. 187.

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Données sur les conflits : qui, où, comment…

La course à la prévision et à l’anticipation sur des événements concerne tous les acteurs du jeu international, des Nations Unies aux firmes implantées à l’international en passant par les médias et les chercheurs. Savoir avant les autres rapporte gros, en contrats, en vies humaines, en renommée. Rien de nouveau, aux oracles, Nostradamus et psychohistoriens (1), il faut désormais ajouter les « big-dateurs ».
Parce qu’elle est née en Europe et a reçu le soutien de la DG Recherche de la Commission européenne, qu’elle figure aujourd’hui comme l’une des – sinon LA – bases de données de référence en matière de conflits en Afrique, l’Armed Conflict Location & Event Dataset (ACLED) mérite un petit détour.

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Instantanés de la compétitivité « à la française »

L’indice de compétitivité régionale (RCI) publié en août 2013 entre dans sa phase de finalisation. L’étude provisoire (1) permet déjà d’éclairer les originalités françaises sur le plan des disparités entre la capitale et les régions les moins compétitives. Les plus optimistes, gageant que Paris « tire » le reste du pays, y verront la marque de l’excellence et de l’attractivité parisienne, les plus décentralisateurs celle de la permanence du clivage entre « Paris et le désert français » (2), les prospectivistes s’interrogeront sur les limites de l’antifragilité à la française (3).
Toujours est-il que la Commission européenne tire la sonnette d’alarme dans sa présentation : « Déjà dans l’édition 2010 du RCI, le manque de diffusion régionale était manifeste, surtout autour des capitales de certains pays de l’UE moins développés. Bien que la crise ait limité la croissance potentielle de la diffusion régionale, à moyen terme, celle-ci devra être renforcée. La compétitivité globale d’un pays dépend des performances de toutes ses régions et pas seulement de sa capitale. »

Sur l’indice de compétitivité régionale (RCI)

L’indice RCI est élaboré sur le modèle de celui du Forum économique mondial (l’index de compétitivité globale, GCI). Il tient compte de trois thématiques : les fondements (institutions, stabilité macro-économique, infrastructure, qualité de l’enseignement primaire et secondaire), l’efficacité (formation tout au long de la vie, efficacité du marché du travail, taille du marché) et l’innovation (innovation, capacité technologique…). Son objectif est de capter les différentes dimensions de la compétitivité à l’échelon régional pour réduire les inégalités de l’Europe dans son ensemble.

Deux images de l’index de compétitivité régionale

RegionalCompetitivnessIndex2013
(Cliquer ici pour accéder à la source)
Le graphique montre le profil de l’exception française : l’écart entre la région parisienne et la région la moins compétitive pourrait laisser penser au profil d’un pays en développement où la capitale draine les richesses sans les redistribuer et où les élites oublient leurs terroirs du 16 août au 13 juillet (4).

CarteCompetitiviteregionale

La carte illustre les écarts entre les modèles des deux moteurs traditionnels de l’Europe, l’Allemagne et la France, qu’il ne faudrait pas simplement réduire au constat des histoires fédérale pour l’une et centralisée pour l’autre. Pour ne citer que quelques autres aspects, la forme des territoires, leur situation relative (la France est en grande partie un « finisterre » alors que l’Allemagne est un centre depuis l’élargissement), les densités et les réseaux jouent aussi un rôle important.

Les réseaux européens prioritaires

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(Cliquer ici pour accéder à la source)
Dans un contexte où l’écotaxe fait débat en France, voici la carte diffusée le 17 octobre 2013 par la Commission européenne montrant les dix axes de transports prioritaires. Pour la France, l’axe atlantique et l’axe méditerranéens pourraient contribuer à dynamiser certaines des régions les moins compétitives (représentées sur la carte précédente). Notons que le 1er port français, Marseille, ne développera pas son hinterland par les Alpes du Sud. Voilà le résultat d’années de concurrence entre Lyon et Marseille, entre Marseille et Nice, entre Gênes et Marseille, entre professionnels de la route et ceux du rail, entre écologistes et « bétonneurs » : un splendide axe Nord-Sud d’Amsterdam à Gênes en passant sous les montagne suisses. Tout est affaire de tractations et de rapports de force, y compris dans les vides d’une carte : le TGV Lyon-Turin est issu de l’enterrement en première classe du fret Marseille-Turin sous le Montgenèvre (5).

Intérêt pour GeoSophie

Contextualiser les conflits qui prennent en France une tournure régionale. Il serait dommage de se contenter de penser que les habitants de telle ou telle région ne s’intéressent qu’à leur petit intérêt personnel, ne sont que fous dangereux fonctionnant sur une base passionnelle. La carte des risques identifiés par la DATAR en 2000 (6) et les publications de la Commission sur l’index de compétitivité régionale concourent à faire réfléchir aux responsabilité de l’État et à l’intérêt de limiter le clivage Paris/province pour mieux soutenir l’ensemble des citoyens. Pour sa part, chaque citoyen a la possibilité et la responsabilité de prendre connaissance de ces schémas et grands desseins d’aménagement, d’y contribuer en adressant ses remarques et en demandant démocratiquement des comptes à ses élus.

Sophie Clairet

Image du haut : L’Europe vue de nuit, une image de la répartition des habitants en 2017. Cliché de Thomas Pesquet (© ESA)

Notes

(1) Avant prise en compte des avis et commentaires des citoyens européens qu’il était possible de transmettre en ligne grâce à un lien communiqué ici (http://ec.europa.eu/regional_policy/information/studies/index_fr.cfm#3) avant le 30 septembre 2013.
(2) Un clin d’œil à l’ouvrage publié en 1947, Paris et le désert français, par le géographe Jean-François Gravier.
(3) Terme utilisé par Nassim Nicholas Taleb, voir Antifragile: Things That Gain from Disorder, New York, Random House, 2012. L’ouvrage montre que les structures les plus antifragiles, c’est à dire à la fois capables de se remettre sur pied après un aléa (c’est à dire résilientes) et d’en sortir renforcées, sont décentralisées.
(4) Du 14 juillet au 15 août, transhumance estivale aidant, chacun retrouve ses racines et se souvient qu’il est « de quelque part ».
(5) Pour avoir consacré ma maîtrise de géopolitique aux projets de tunnels dans les Alpes du Sud dans la perspective de l’intégration européenne de la PACA (en 1995), je me permets de signaler ce « joli vide » aux observateurs qui trouveraient curieux que Marseille-Turin passe par Lyon.
(6) Présentée dans le billet Territoire, identité… Dix ans plus tard, l’embrasement ?

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Wanted ! Premières cartes des vers tueurs de lombrics

Troisième espèce de ver, nom inconnu, photos Jean-Lou Justine

Depuis l’appel à témoins lancé en avril 2013 sur le site du Museum National d’Histoire Naturelle, le Professeur Jean-Louis Justine a mis en place un site Internet dédié à la recherche et à la cartographie de ce ver tueur de lombrics. La carte mise en ligne permet de suivre le fruit d’une démarche associant lanceurs d’alertes et citoyens. (Cliché ci-contre : Troisième espèce de ver, nom inconnu, photos Jean-Lou Justine)

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Acquisitions de terres. Une illustration des enjeux géopolitiques des données

Représentation Acquisitions de terres représentées par des liens entre pays d'origine et pays de destination. Capture d'écran du site Land Matrix le 14 juin 2013.

« The data should not be taken as a reliable representation of reality ».

Land Matrix évalue à 32,6 millions d’hectares la superficie des accords conclus depuis 2000 – soit moins de la moitié des estimations précédentes. Par la vérification des sources et leur travail de terrain, les chercheurs ont distingué les projets annoncés de ceux réellement signés, et les superficies effectivement mises en production. (Image ci-contre : Acquisitions de terres représentées par des liens entre pays d’origine et pays de destination. Capture d’écran du site Land Matrix le 14 juin 2013.)