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L’agressivité, la nature et les sociétés humaines

L'une des sculptures qui composent les menhirs de l'Europe. Elles furent installées par une trentaine d'artistes sur la frontière entre Launstroff (F) et Wellingen (D) pour témoigner de la paix entre les nations. Cliché Sophie Clairet, septembre 2015.
L’une des sculptures qui composent « les menhirs de l’Europe ». Elles furent installées dans les années 1990 par une trentaine d’artistes sur la frontière entre Launstroff (F) et Wellingen (D) afin de témoigner de la paix entre les nations. Cliché Sophie Clairet, septembre 2015.

L’agressivité est liée à la vie dans la mesure où chaque être vivant est obligé de s’inscrire dans un environnement où évoluent d’autres êtres vivants. Il doit donc se faire une place au soleil. Cette caractéristique de la vie elle même est équilibrée par un autre mouvement, celui de la solidarité. L’agressivité ne peut se concevoir indépendamment de la solidarité.

Avec l’aimable autorisation d’Areion Group, voici la reproduction d’un entretien que m’avait accordé Jean-Marie Pelt (1933-2015) pour le magazine Diplomatie n°7 publié en février 2004. Professeur émérite de biologie végétale et de pharmacologie, président de l’Institut européen d’écologie, il a nourri ses ouvrages par l’observation de la nature.

C’est malheureusement ce qui a été tiré comme leçon des écrits des naturalistes du XIXe siècle et de Darwin en particulier, dont on a quelque peu travesti la pensée et tiré la fameuse idée de la loi de la jungle et du « struggle for life ». Leur pensée s’est trouvée exagérée et retraduite dans le domaine social dans les grands systèmes politiques qui ont fonctionné depuis le XIXe siècle, Marx d’un coté et la lutte des classes – la lutte étant le moteur de la société – et le libéralisme où la concurrence sévère et acharnée est un facteur d’agressivité très important. Ces systèmes ont composé un décalque des écrits des naturalistes de l’époque. On disait que la société était à l’image de la nature, la nature était la loi de la jungle donc la société était nécessairement fondée sur l’agression. Les penseurs de ce temps n’ont absolument pas vu l’importance des solidarités dont on prend conscience aujourd’hui. Le terme « solidarité » est d’ailleurs un mot très chaleureux, qui en appelle aux sentiments. Il est nécessaire au fonctionnement des sociétés beaucoup trop agressives. Ajoutons que le XIXe siècle est en contradiction avec le XVIIIe, siècle des Lumières dominé par Jean-Jacques Rousseau et des philosophes qui imaginaient le contraire : une société internationale fondée sur le Droit, apaisée, développant la coopération internationale et le bannissement de la guerre. Et il est certain que ces philosophes auraient été très surpris de voir l’importance qu’a acquis l’agressivité dans nos sociétés. La société des Lumières allait jusqu’à se demander s’il était convenable de placer des fourchettes et des couteaux – symboles d’agressivité – sur la table. Ces penseurs allaient très loin dans la recherche de la fraternité humaine. Le XIXe siècle a renversé complètement la donne, déjà annoncé il est vrai par les guerres napoléoniennes et les aspects violents de la Révolution françaises. C’est à ce moment là que les choses se sont inversées. Après la période, très prometteuse dans l’histoire, que fut ce siècle des Lumières, nous nous sommes engagés dans ce modèle, qui perdure encore aujourd’hui, du « chacun pour soi » et de l’agressivité, qu’elle se développe sur le plan commercial, sur le plan de la violence. S’agissant des guerres, les hommes n’en ont toujours pas éloigné les spectres en ce début de millénaire.

L’amour et la guerre

A contrario, les animaux de très nombreuses espèces ont inventé des systèmes qui régulent et diminuent l’agressivité, voire l’éliminent parfois complètement. Très nombreuses sont les espèces où fonctionnent ces mécanismes, de sorte que les individus de mêmes espèces ne se tuent pas entre eux. Le dernier exemple, très proche de nous, est celui des singes bonobos, qui pratiquent le « faites l’amour et pas la guerre ». Leur sexualité inhibe leurs comportements agressifs. On voit même certains comportements agressifs devenir des comportements de parade amoureuse et par conséquent changer de signification. Dans l’acte sexuel la pénétration, mouvement d’agression initialement, s’inverse complètement et l’amour et la postérité l’emportent in fine.

L’humanité et la guerre

Les bilans des guerres des hommes sont tout à fait tragiques. Les bandes de chimpanzés s’affrontent sur un champ de bataille. Ce n’est que lorsque tout se déroule mal que le combat fait un mort. Nous avons pourtant toutes les sagesses, toutes les philosophies, toutes les religions : tout ce discours est entendu par l’humanité mais n’a pas réussi collectivement à empêcher les dégâts dus à l’agressivité et à la violence. C’est une caractéristique tout à fait inhérente à notre espèce. Et je me pose toujours cette question : on voit bien que de très nombreuses personnes dans la plupart des religions recherchent la paix, la solidarité, la fraternité. Il existe des vies exemplaires, celles de saints, mais collectivement la régulation de la violence ne fonctionne pas. Les pulsions collectives d’agressivité et d’agression des peuples et des civilisations sont encore très fortes aujourd’hui.

Le parcours du chef : une sélection par l’agressivité

La prééminence du chef est une donnée très forte, qui se manifeste à partir de l’organisation des animaux supérieurs. Les invertébrés ne forment pas entre eux de collectivité organisée. Dès que la collectivité est structurée et organisée, se dégagent des chefs, généralement au cours de combats – chez nous les élections sont un combat symbolique. Il faudrait souhaiter que le chef ne soit pas l’individu le plus agressif mais le plus gentil. Ce type de sélection existe chez des sociétés de chimpanzés où il arrive que le chef soit celui que le groupe aime le plus. Dans la plupart des cas cependant, le chef s’impose surtout par la force de son poing ou de ses arguments. Evidemment, à ce jour, l’essentiel du travail pour nos hommes politiques est d’être aimés – ce qui n’est pas toujours le cas puisque les aptitudes requises précisément pour devenir le chef ne sont pas précisément les qualités d’aménité.

Le rôle des comportements sociaux culturels ritualisés

Lorsque vous débarquez au Japon vous êtes très frappé de la société où les ritualisations sont très fortes. Il n’y a pas d’agressivité dans la rue, le métro. Les Japonais ont travaillé sur le polissage ritualisé des relations humaines. C’est exactement le contraire qui se produit lorsqu’on parle chez nous actuellement d’incivilité. L’incivilité revient à l’absence de rituels. Ne pas dire bonjour ou s’agresser verbalement, tous ces comportements n’existeraient pas si se développaient des ritualisations dans les relations entre les êtres humains. Nous sommes dans une société très déstructurée, on le voit bien par rapport au Japon. Ces rituels de comportement qui ont pour but de réguler l’agressivité, tels que la courtoisie ou la politesse, étaient des méthodes utiles au bon déroulement des relations humaines.

L’Homme et la nature

L’Homme est à la fin de l’aventure. Mais l’Homme parce qu’il a développé une capacité de raisonner détient une responsabilité très grande, qui ne s’exerce pas seulement pour sa propres espèce, mais vis-à-vis des autres espèces dans la mesure où il est capable de les faire disparaître. Il est en fait le responsable, le gardien du jardin comme dit la Bible. Dans cette idée du jardin, transparaît celle des espèces qui pourraient être cultivées. Les musulmans parlent de la place de l’Homme comme lieutenant d’Allah sur la terre. C’est toute l’aventure de l’écologie que de mettre l’Homme devant ses responsabilités, face à l’évolution même de la vie sur la planète. Or il les assume très mal. Il a perdu le sens des responsabilités. Il faut qu’on réintègre dans le mouvement de l’éducation, dans les écoles, ce que les Anciens appelaient la règle d’or et qui s’exprimait par une phrase très simple : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse ». Cette règle se retrouve dans toutes les religions sans aucune exception. C’est le code du vivre ensemble. Je pense que nous devrions fonder notre stratégie éducative sur l’apprentissage de cette règle simple très tôt dans les processus éducatifs. On parle de l’instruction civique, de la morale dans les écoles. Mais cette phrase que l’on trouve mot à mot dans tous les textes sacrés doit apparaître très tôt. Il faudrait faire aux autres ce qu’on aimerait qu’ils nous fassent à nous mêmes. C’est le contraire de l’agressivité.

Propos de Jean-Marie Pelt recueillis par Sophie Clairet.

Pour aller plus loin :

– Jean-Marie Pelt, La loi de la jungle. L’agressivité chez les plantes, les animaux, les humains, Fayard, Paris, 2003, 280 pages.
– Centre Jean-Marie Pelt : http://www.centrejeanmariepelt.com/
– Diplomatie n°7, Areion Group, février-mars 2004, 92 p.

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Bain de forêt au bord du Loing

Sur les bords du Loing, mai 2015
Sur les bords du Loing (France, Loiret) en mai 2015, appel à la sieste, à la détente. La douceur de vivre comme évidence. Cliché par Sophie Clairet

Ce qu’est un bain de forêt au Japon

Le terme de Shinrin-yoku (bain de forêt) fut inventé par le ministère nippon de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche en 1982. Une étude académique japonaise démontre les bienfaits de la Nature, plus précisément les effets physiologiques de la forêt ont leurs chiffres et leurs graphiques.
Le pays du soleil Levant accrédite plus de 40 forêts pour leur valeur anti-stress.
D’un océan à l’autre, la pratique du Shinrin-yoku et l’intérêt pour une valeur thérapeutique de la Nature gagnent les États-Unis. L’État de New-York documente d’ailleurs une corrélation entre disparition des frênes suite à une attaque de parasites et hausse des décès suite à des affections pulmonaires.

Opportunité de ce hors-sujet

Un petit clin d’œil à la « forêt japonaise » mise à l’honneur dans le film The Sea of Trees présenté au Festival de Cannes ces jours-ci. Le film est tourné au pied du Mont Fuji à Aokigahara, forêt tristement célèbre pour les dizaines de suicidés par an que la Police y retrouve.

Pour aller plus loin

  • 3- L’étude scientifique japonaise citée dans de nombreux médias : The physiological effects of Shinrin-yoku (taking in the forest atmosphere or forest bathing): evidence from field experiments in 24 forests across Japan
    http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2793346/
  • 2- Un prolongement aux États-Unis : New-York State Department of Conservation
    http://www.dec.ny.gov/lands/90720.html
  • 1- Penser à aller se balader en forêt pour de vrai, sans attendre des statistiques et des études académiques.

Sophie Clairet

Image du haut : Un samourai espagnol pionnier du Shinrin-yoku en Europe (image Wikipedia)

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Randonneurs, la mouvance touristique du fond des âges

Partir découvrir le monde, visiter, aller voir plus loin… Tout cela constitue des fondamentaux de l’humanité. Parmi nos aventuriers, les marcheurs composent un groupe particulier. Ce groupe-là n’a pas la limite du moteur d’une machine ni de la voie bitumée. La fin de la marche dépend de la seule volonté – certes de l’état des pieds et de l’arrivée d’une mer ou d’une rivière. Au fur et à mesure de l’avancée et de la découverte, la volonté se renforce ainsi qu’un certain sentiment de puissance et de conquête.

Les marcheurs sont une mouvance touristique qui célèbre cette liberté de dépasser quelques limites, les frontières en font partie.

En avril 2014, un magazine plaçait en couverture « Retourner au Sahara en 2014 ? » et passait en revue différents chemins de découverte de la Mauritanie à la Tunisie. Le rappel des zones déconseillées par le ministère des Affaires étrangères ponctuait chaque ode à la re-découverte de contrées devenues impénétrables au gré de la montée des mouvances islamistes. La liste des voyagistes et compagnies aériennes permettait en revanche de trouver parfois comment y aller malgré tout, en transitant par un État moins regardant que la France.
Pincée d’aventure, sentiment de transgression face à la montée des murs, perspective simplement de contempler des paysages magnifiques placés hors de portée par la folie des hommes, simple légèreté teintée d’irresponsabilité au prétexte que la vie est trop courte pour être enfermée… la liste des ressorts serait trop longue à dresser.

Il convient juste de rappeler le rôle fondamental de la simple marche comme système de découverte du monde réel. Une puissance d’expérience mais aussi de formation de la pensée (1) que le monde virtuel ne remplace pas. Les voies qui se ferment devant les pas d’un marcheur sont autant d’emprises territoriales (2) des forces obscurantistes.

Sophie Clairet

Image du haut : Sahel : zone déconseillée aux voyageurs. Attention à rechercher les informations sur les pays limitrophes (ex. Algérie). Source : MAEDI

Notes

(1) Voir les nombreux ouvrages sur philosophie de/et la marche.
(2) Le territoire est un espace sous contrôle, approprié.

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Oubliés de nos campagnes : la diagonale du vide en images

© Ulrich Lebeuf/MYOP/Secours Catholique. La vallée des oubliés. Oubliés de nos campagnes
© Ulrich Lebeuf/MYOP/Secours Catholique. La vallée des oubliés. Oubliés de nos campagnes

La diagonale du vide évoquée en cartes dans des posts précédents (voir celui sur la prospective DATAR 2020 et celui sur la compétitivité à la française) trouve son illustration sensible dans cette exposition « Oubliés de nos campagnes ». Présentée par le Secours catholique-Caritas France et l’agence Myop, du 20 novembre au 1er décembre 2013 à Paris (1), cette série de photographies de Lionel Charrier, Pierre Hybre, Olivier Jobard, Alain Keler et Ulrich Lebeuf (2) a pour objectif de « mettre en lumière ceux qui sont trop souvent dans l’ombre, favoriser une prise de conscience du phénomène grandissant de la précarité en milieu rural et surtout favoriser le changement de regard. »

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Catastrophes naturelles & déchets toxiques

Destruction après le passage du typhon. Cliché ECHO.

Somalie 2005, petit rappel. Les images des Philippines après le passage de Yolanda (1) montrent un paysage parsemé de débris. Constructions humaines et plus généralement tout ce qui n’a pas résisté aux rafales de vent et aux vagues composent autant de déchets qui compliquent pour les victimes l’accès aux ressources et pour les secours l’accès aux victimes. A l’épineuse gestion de ces déchets visibles qui résultent directement du typhon, s’ajoute celle des déchets toxiques susceptibles de se diffuser. (Destructions après le passage du typhon Yolanda. Cliché EU Humanitairian Aid and Civil Protection sur Flickr.)

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Wanted ! Premières cartes des vers tueurs de lombrics

Troisième espèce de ver, nom inconnu, photos Jean-Lou Justine

Depuis l’appel à témoins lancé en avril 2013 sur le site du Museum National d’Histoire Naturelle, le Professeur Jean-Louis Justine a mis en place un site Internet dédié à la recherche et à la cartographie de ce ver tueur de lombrics. La carte mise en ligne permet de suivre le fruit d’une démarche associant lanceurs d’alertes et citoyens. (Cliché ci-contre : Troisième espèce de ver, nom inconnu, photos Jean-Lou Justine)

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Le choix du sol

Voici le point de vue de Claude et Lydia Bourguignon et quelques propositions pour la terre et le sol, en décalage avec les pratiques actuelles. Le débat est a priori sans fin… : Pourrait-on produire autant ?, Pourrait-on nourrir la planète ?, et accessoirement, Pourrait-on conserver un « Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire » ? (1).

Sophie Clairet

Image du haut : Couverture du rapport de la FAO sur le gaspillage alimentaire.

Note

(1) « Le volume total de nourriture perdue ou gaspillée chaque année est équivalent à plus de la moitié de la production céréalière mondiale (2,3 milliards de tonnes en 2009-2010). », FAO.

Pour aller plus loin

– Laboratoire Analyses Microbiologiques Sols (LAMS)
– FAO, Global food losses and food waste, FAO, Rome, 2011, en ligne à http://www.fao.org/news/story/fr/item/74312/icode/

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Acquisitions de terres. Une illustration des enjeux géopolitiques des données

Représentation Acquisitions de terres représentées par des liens entre pays d'origine et pays de destination. Capture d'écran du site Land Matrix le 14 juin 2013.

« The data should not be taken as a reliable representation of reality ».

Land Matrix évalue à 32,6 millions d’hectares la superficie des accords conclus depuis 2000 – soit moins de la moitié des estimations précédentes. Par la vérification des sources et leur travail de terrain, les chercheurs ont distingué les projets annoncés de ceux réellement signés, et les superficies effectivement mises en production. (Image ci-contre : Acquisitions de terres représentées par des liens entre pays d’origine et pays de destination. Capture d’écran du site Land Matrix le 14 juin 2013.)

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Verger d’oliviers, Alpes-de-Haute-Provence, le 7 mai 2013. Cliché Sophie Clairet